Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Quelques remarques épistémologiques

Il faut clore définitivement l'illusion positiviste et fermer l'ère de la mathématisation de l'univers. La science est un discours dont les fondements sont toujours métaphysiques, dont le langage réel n'est pas mathématique (même si les mathématiques permettent certains développements approximatifs intéressants) et dont le contenu est évolutif, cumulatif et processuel.

Le 20ème siècle a vu s'affronter deux grandes écoles épistémologiques, l'une logiciste (Carnap, Reichenbach, Russell, le premier Whitehead et le premier Wittgenstein) et l'autre évolutionniste (Popper, Lakatos, Kuhn).

La prétention à vouloir fonder une logique inductive ou, mieux, une logique de l'induction est proprement absurde : l'énoncé induit ou synthétique contient plus d'information que la somme des informations contenues dans les énoncés élémentaires. Cette différence ne vient donc pas de ces derniers, mais de la subjectivité implicite et souvent inconsciente (notamment métaphysique) de l'inducteur.

Le positivisme et le logicisme ne sont que foutaises : l'induction logique n'est pas le moteur de la science ! L'empirisme sert la validation d'une théorie, mais n'en est pas la source.

Aujourd'hui, le triomphe définitif de l'évolutionnisme sur le logicisme (qui est une forme pernicieuse d'idéalisme platonicien) ne peut plus faire aucun doute.

Mais aux visées "méthodologistes" de tous ces épistémologues, tant positiviste ou logiciste qu'évolutionniste, s'oppose la critique "anarchiste" ou "artiste" de Feyerabend qui dénonce "l'illusion méthodologiste" et qui montre l'absence de toute méthode réelle au sein du processus de la création scientifique, fruit de l'imaginaire, de l'onirique, de l'esthétique, du mystique, du magique et de l'inspiration. Plus généralement, toute science n'est que déclinaisons d'une intuition métaphysique originelle.

Cette critique ramène la science à n'être qu'un discours particulier à propos du réel (une philosophie de la Nature, donc) dont la spécificité unique est son langage - en l'occurrence mathématique.

L'épistémologue Imré Lakatos qualifie de "dégénérescent" tout programme théorique "qui se borne à manœuvrer aussi habilement que possible, par hypothèses ad hoc, pour sauver son 'noyau dur' face aux anomalies qui se présentent".

C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui tant pour le modèle standard cosmologique que pour le modèle standard particulaire.

Depuis Galilée, "scientifique" est synonyme de "mathématique". N'est scientifique que ce qui est mathématisable ou mathématisé.

Comme les mathématiques sont inaptes à transcrire la réalité complexe de la Nature réelle, force est d'abandonner la notion de science physique et de réactiver celle de philosophie de la Nature afin d'y inventer de nouveaux langages (non mathématiques ou métamathématiques) mieux adaptés au réel.

Marc Halévy, le 29 octobre 2012