Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

De l'Amour

L'article qui suit, constitue le prologue de mon livre "Kabbale érotique et mystique - Le Cantique des cantiques" à paraître chez Dangles au début de 2015.

La langue grecque antique connaissait quatre mots différents pour désigner ce que le français rend, un peu pauvrement, par "amour".

 

Il y avait Eros, l'amour charnel qui vise la jouissance de la copulation et de la fornication et qui concerne les Corps. Freud, bien plus tard, en fera le moteur de sa libido et poussa le réductionnisme jusqu'à en faire le seul moteur de tous les comportements humains. Est-ce cette réduction obsessionnelle qui rendit Freud cocaïnomane au point de mourir d'un cancer des cavités nasales à force de "sniffer" ? L'Eros appelle l'érotisme et la sexualité, bien sûr, mais pas seulement avec une visée pornographique et orgasmique. L'Eros appelle aussi la caresse des mains et des yeux, la tendresse des peaux qui se frôlent, des lèvres qui se posent, délicatement, sur le bout d'un doigt.

Cette érotique des corps n'est pas que réservée à l'intimité du couple amoureux. Elle se révèle dans la jouissance lumineuse et délicieuse de la relation entre le corps et la Nature, dans la caresse du soleil sur la peau nue, dans le bruissement du vent d'été à travers les feuillages délicats d'un bouleau, dans le capiteux d'un vin de Gigondas ou de Lirac qui remplit la bouche de son baiser de fruits mûrs, dans le chant d'un rossignol ou d'un merle lorsqu'il s'immisce dans une oreille offerte et attentive, dans le simple spectacle d'une mer de collines (c'est l'étymologie celte du mot Morvan) dans le brumes de l'aube.

 

Il y avait ensuite la Storgué qui relève des élans des Cœurs, de la sensibilité, de l'émotivité, de la passion sentimentale et amoureuse. Elle cause ces bouffées qui font dire, comme Montaigne, au-delà de toute raison : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi". "Le Cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas", écrivait Pascal dans ses "Pensées". Il parlait de l'élan vers Dieu, de l'intuition du Divin caché au-delà des apparences du monde ; élan et intuition, étrangers à la raison raisonnante, mais si vivaces, si porteurs de certitudes intérieures.

Cette affectivité, rendue parfois par le mot "tendresse", est aussi une jouissance, mais une jouissance qui ne serait pas charnelle. Elle signe plutôt la jouissance de la présence de l'autre, présence qui peut être réelle ou imaginaire, d'ailleurs. Présence en fait ou en pensée qui imprime un sentiment profond de complétude de soi dans l'autre et par l'autre. Comblement de ce manque qu'instille l'absence de l'autre, dans le cœur de celui qui aime.

Et cet autre ne se restreint pas à une autre personne humaine. Elle s'étend à tout ce qui est autre, à l'Autre au sens métaphysique. A cet Autre dont la présence donne un sentiment de plénitude, de sûreté, de sécurité, de complétude? Cet Autre, ce peut être, bien sûr, l'Aimé humain, épouse ou ami, mère ou fils? Mais ce peut être autant, sinon plus parfois, un lieu où l'on s'enracine, un livre que l'on relit toujours avec joie et fruit, un arbre qui apaise depuis longtemps, une certaine idée du Divin dont l'évidente certitude balaie d'un coup tous les doutes, toutes les angoisses.

 

Il y avait encore la Philia dont l'essence fonde la complicité des Esprits, le synchronisme des intellects, la correspondance des idées, des mots, des concepts, la connivence des humours. La philia, c'est l'amitié, réelle et profonde - qui n'a, évidemment rien à voir avec ces faux et artificiels "amis" qui peuplent le ridicule Fesse-Bouc. Un clin d'œil suffit? Tout est dit. La syntonie des esprits est établie. Plus besoin de mots. Plus besoin de parler. Un regard, une mimique, une posture, un minuscule geste, un soupir, un sourire qui ne sourit presque pas, … et tout est dit, tout est su, tout est compris.

Cette amitieuse connivence est précieuse et rare. Elle est étrangement puissante et, souvent, effraie l'autre qui la constate sans rien y comprendre, avec jalousie et envie. Quelle force elle donne ! Avec elle, un plus un égale bien plus que deux. A son propos, on peut aussi parler de sympathie, se symbiose, de syntonie réciproques, en signifiant que cette amitié, cette connivence, cette complicité radicale ne s'ancrent pas dans l'affection, mais dans une communion sociale et intellectuelle, fruit d'un effort, d'une volonté, d'une construction initiatique où chacun s'initie à l'autre jusqu'à vivre en parfaite symbiose avec lui. L'amitié est une ascèse. L'amitié est une discipline. L'amitié se cultive comme un jardin potager qui ne donnerait de beaux fruits qu'à la mesure des soins et efforts prodigués.

Bien sûr, on peut être ami d'une personne - et surtout de son conjoint de vie ; mais on peut être, aussi, ami de son chien, de son jardin, de son verger, de sa rivière, pourvu que l'on sache, sans rien devoir dire ou demander, ce que cet autre, non humain, vit, ressent, comprend, attend, pourvu que l'on comprenne profondément quelle est sa logique de vie au point de savoir parfaitement, avec certitude, quels comportements de lui il faut anticiper.

 

Il y avait enfin l'Agapé. Mot qui, en français, a donné "agape". Les agapes : le festin, le banquet, le partage des nourritures essentielles et des ivresses extatiques. L'agapé indique la fraternité vécue, l'égrégore, la fusion des Âmes, la communion au sens quasi mystique. Mais qu'est-ce que signifie cette fusion ou communion des âmes ? Et qu'est-ce que l'âme ? L'étymologie latine du mot "âme" pointe vers "ce qui anime" c'est-à-dire vers l'intention profonde, vers la finalité construite, vers le destin propre tel qu'il est accepté et assumé? La communauté des âmes implique, donc, la communauté de destin, la communauté de vocation, la communauté d'intention. L'agapé suppose et impose de participer chacun à l'accomplissement plein de l'autre, en réciprocité naturelle,. Une mutualisation des destins, en somme.

Malgré ce qu'en ont dit et pensée les philosophie du sujet, issues de Descartes et de Kant, et hypertrophiées par l'existentialisme, chaque homme n'est qu'un maillon, certes unique et partiellement libre, de longues chaînes phylétiques et généalogiques qui font ce qu'il est et qui fondent ce qu'il fait. Chacun est porteur d'une idiosyncrasie qui lui est propre et qui forge un destin particulier que la liberté peut accepter et assumer, ou pas (voir mon "Petit traité de la Liberté de vivre" et mon "Petit traité de la Sagesse de vie" - Dangles - 2013 et 2014).

Cette idiosyncrasie, héritée du cosmos tout entier, ouvre et offre des facultés, des potentiels, des talents, des tares, des manques, des inaptitudes qui débouchent sur des possibles et des impossibles. Le destin de chacun consiste, simplement, à accepter les impossibles et à exploiter les possibles pour les accomplir en plénitude.

On comprend mieux, alors, ce que l'agapé, la communion des âmes, signifie : bâtir, ensemble, une communauté de destins fondée, à la fois, sur la similarité et sur la complémentarité des possibles et des impossibles, sur la similarité et sur la complémentarité des idiosyncrasies. Ce beau principe a été, tout entier, magnifiquement illustré par le principe des "âmes sœurs" chanté, entre autres, par le philosophe Platon (dans son dialogue "Le banquet") et par le kabbaliste Na'hmanide (dit, dans la tradition juive, le Ramban pour Rabbi Moshéh ben Na'hman, adversaire déclaré du rationaliste Rambam, Rabbi Moshéh ben Maïmon mieux connu sous le nom de Maïmonide). Mais l'agapé va bien plus loin que la perfection de l'unité de vie d'un couple qui pousse la fusion jusqu'à reformer l'androgyne originel (l'Adam Qadmon des kabbalistes). Elle touche aussi les communautés humaines cénobitiques, mystiques, monachiques ou initiatiques. Et, bien plus loin encore, elle concerne la communion, la fusion, l'unification totale entre une âme et l'Âme du monde, entre une âme et Dieu, entre une âme et l'Un absolu.

 

*

 

En hébreu, "amour" se dit ahavah et s'écrit AHBH. Il est graphiquement proche de YHWH. Deux fois apparaît la lettre Hé (valeur numérique 5 et signification symbolique : "voici", c'est-à-dire la claire perception du Réel tel qu'il est), aux mêmes places : la deuxième (la binarité des pôles) et la quatrième (la matérialité du concret).

Dans AHBH, d'abord, le A (Alef vaut 1 et signifie "Bœuf" c'est-à-dire la Force puissante et sereine de l'Unité) a pris la place du Y (Yod vaut 10 - le retour à l'unité du A puisque 1+0=1 -, et signifie la "main", ce qui agit, ce qui crée, ce qui œuvre).

Ensuite, le B (Beyt vaut 2 et signifie la "maison" c'est-à-dire la racine, le lieu originel, l'enveloppement de soi dans le Réel) remplace le W (Waw vaut 6 et symbolise le "crochet", ce qui accroche, ce qui retient et agrippe, ce qui unit et attache, ce qui s'appelle "fidélité").

L'Amour (AHBH) est sans conteste une manifestation du Divin (YHWH) doublement plantée dans le Réel, au Ciel et sur Terre, mais où l'action devient force et où la fidélité devient racine.

L'amour, à travers l'autre et par l'autre, donne force et racine, et divinise la vie réelle.

Que dire de plus … ?

 

*

 

Aborder l'Amour est chose grave et difficile car ce concept, magnifique et banal pourtant, se déploie dans de nombreuses dimensions. On a vu combien les Grecs anciens avaient eu à cœur d'en exprimer certaines nuances essentielles.

Il n'empêche : dire : "j'aime ma femme ou mes enfants ou ma mère", n'est peut-être pas du même registre que dire : "j'aime mon chien, le pot-au-feu, le Chateauneuf-du-Pape, lire Nietzsche ou cultiver mes tomates et courgettes", ni du même tonneau que dire : "j'aime Dieu, la Nature, la Vie" …

Partout, se niche le même verbe "aimer", mais il n'y a pas le même sens, la même ampleur, la même profondeur. Alors : que faire ?

 

Pour le comprendre, partons de ce simple constat que le verbe "aimer" ne prend sens que conjugué, avec un sujet et un complément d'objet direct : quelqu'un aime quelqu'un ou quelque chose. Le verbe "aimer se glisse donc toujours entre un sujet qui aime et un objet qui est aimé.

 

Le sujet ; c'est chacun d'entre nous, c'est le "je". Soit. Mais au-delà de ce "je" apparent : qui aime ? Le "je" n'est que le masque, momentané et opportuniste, d'un soi plus profond qui porte son idiosyncrasie singulière et son destin propre. Si c'est le "je" qui aime, alors cet amour sera, lui aussi, momentané et opportuniste : dans l'immense majorité des couples qui se croient et se disent amoureux, c'est le "je" - les deux "je" - qui "aime(nt)", et rien qu'eux. Misère amoureuse des amours superficielles et éphémères. Si c'est le soi, au-delà du "je" qui aime, alors l'amour prend de l'ampleur et de la profondeur ; il s'enracine dans le terreau foncier de ce qui constitue le moi apparent ; il gagne en solidité et en pérennité. Mais au fond du soi, comme le savent tous les mystiques de toutes les contrées et de toutes les époques, s'ouvre une porte étroite et ténue, cachée et secrète, qui s'ouvre sur le Soi, c'est-à-dire sur l'Âme du Tout, sur l'Âme cosmique, sur l'Esprit divin. Cette petite porte est un point de contact intérieur, fragile mais puissant, entre l'Océan du Tout et la vague que j'incarne au fil des jours ; elle s'ouvre sur le fond du Réel de soi qui est aussi le fond du Réel du Soi, de l'En-soi absolu.

Et, si cette porte minuscule est ouverte sur la plénitude de l'immense, alors quand je dis : "j'aime", c'est Dieu[1] qui aime à travers moi.

 

L'objet, maintenant. Que (qui) peut-on aimer ? Telle est la quatrième question métaphysique que Kant n'a pas oser poser. Il a bien demandé : "Que peut-on savoir ? Que peut-on faire ? Que peut-on espérer ?", et, ainsi, il a pu explorer les arcanes, respectivement, de l'épistémologie (l'étude de la connaissance), de l'axiologie (l'étude des valeurs) et de la sotériologie (l'étude du salut), mais, en bon rationaliste qu'il fut, il esquiva la question de l'amour qu'il ravala au niveau des affects quasi animaux.

Que peut-on aimer ? Qu'est-ce qu'un sujet conscient peut consciemment aimer ? Une manière d'aborder la choses, est de considérer le sujet aimant dans sa situation concrète et réelle où trois dimensions de vie s'offrent à lui.

 

Il y a la dimension horizontale extérieure qui le "jette au monde"", dirait Heidegger, qui le pose dans un immense champ de relation avec tout ce qui l'entoure, avec ses semblables et ses dissemblables, bref : avec la Nature qui est la manifestation, tangible et expérimentable, du Réel tel qu'il est et tel qu'il va.

 

Il y a la dimension verticale extérieure qui va du plus profond au plus élevé, qui est la dimension spirituelle par excellence, qui, si l'on prend la terminologie vedantine, va du Brahman (le plus élevé des concepts de la transcendance) à l'Atman (le plus profond des concepts de l'immanence). Bref : Dieu ! (pour la signification que je donne à ce mot ambigu, je renvoie mon lecteur à la précédente note de bas de page).

 

Enfin, il y a la dimension intérieure, celle de l'intime et de l'intimité. Et pour moi - homme hétérosexuel mais chacun transposera à son aune -, au creux et au fond de cette intimité intérieure, surgit la Femme, celle que j'aime.

 

Femme. Nature. Dieu.

Dans cet ordre car il va mieux du connu à l'inconnu (quoique …). Que signifie donc "aimer une Femme", "aimer la Nature" et "aimer Dieu" ? Tel se dessine le menu des trois paragraphes qui suivent.

 

Mais avant d'y plonger, offrons-nous le luxe d'une petite digression aussi philosophique que méthodologique.

Face à n'importe quelle assertion ou proposition, le bonne question n'est pas : "est-ce vrai ?", mais bien : "qu'est-ce que cela signifie ?". Le problème n'est pas tant la vérité que la signification.

L'exemple le plus éclairant concerne la proposition : "Dieu existe". Classiquement, face à ce "Dieu existe", se lèvent des armées de combattants pour la vérité. D'un coté les croyants, de l'autre les incroyants. Du moins, tels qu'ils se disent. D'un côté les fidèles, de l'autre les mécréants. D'un côté les obscurantistes superstitieux, de l'autre les fils de la lumière positiviste et rationnelle. Il y a les théistes, il y a les athées. Et l'on ne rigole pas avec ces choses-là, Madame Michu !

Mais, avec humour, Samuel Butler avait pourtant si bien résumer la chose : "La guerre que se font le déiste et l'athée semble avoir pour cause la question de savoir s'il faut appeler Dieu "Dieu", ou lui donner un autre nom".

Le problème n'est pas de trancher pour décider si Dieu existe ou non, le problème est de bien comprendre ce que les mots "Dieu" et "exister" veulent dire. Et ces deux mots ne vont pas du tout de soi. Si "exister" veut dire "être dans le dictionnaire Larousse", alors Dieu existe évidemment. Si "Dieu" - comme je le crois - est un manière sacrale d'estampiller le Tout-Un que manifeste la Nature, alors Dieu existe évidemment aussi. Mais si Dieu est un vieux barbu bougon et acariâtre, jaloux et cruel, assis sur son nuage céleste, qui trompe son ennui éternel en se jouant des pièces sordides au moyen de ses pantins humains, alors, pour moi, Dieu n'existe pas et ne peut pas exister.

Quand quelqu'un dit : "Je crois que Dieu existe", il ne dit strictement rien mais invite à trois question dont il est le seul à détenir les réponses : qu'est-ce que "croire" et qu'est-ce que cela implique, pour lui, dans la vie réelle ? que signifie, pour lui, le concept "Dieu" ? que signifie, pour lui, le verbe "exister" ? S'il est incapable de répondre sérieusement à ces trois questions, son assertion : "Je crois que Dieu existe", est simplement nulle et non avenue.

Remarquons que tel est le cas pour la très grande majorité de ceux qui se disent "croyants" … et de ceux qui se disent "incroyants" car la négation de l'assertion ne permet pas l'économie d'une réponse aux trois mêmes questions !

*

 

Amour de la Femme

Je le répète : que mes lecteurs femmes ou homosexuels m'excusent, mais je suis homme et hétérosexuel. Donc, dans ma langue et mon esprit à moi, l'autre du couple est une femme ; et c'est d'elle dont je veux parler ici. Mais il leur sera aisé de transposer, dans leur langue et leur esprit à eux.

 

Qu'est-ce qu'aimer une femme ?

D'abord, c'est être, à son égard, d'une parfaite et totale et permanente bienveillance. Et qu'est-ce que la bienveillance ? Cette simple attitude de désirer la joie de l'autre, de vouloir son bonheur, de faire tout ce qu'il est possible de faire pour lui faire plaisir et pour accomplir ses souhaits, pourvus qu'ils soient nobles, pourvu qu'ils la grandissent, pourvus qu'ils la construisent.

Rien de plus simple à écrire. Rien de plus difficile à réaliser, au quotidien, là où se tapit, dans l'ombre de nos egos, le sournois nombrilisme égotique qui, à tout bout de champ, gueule comme un putois : "Moi. Moi. Moi !".

Le Cantique (6;3), dans la bouche de l'Amante, place ce mot, si doux, si magnifique : "Je suis à mon amour et mon amour est à moi".

On peut lire cela sous le signe de la possession : mon amour me possède et je possède mon amour. Il ne s'agit pas de cela. Le Cantique, tout au contraire, montre et démontre au fil des versets que rien ni personne ne possède jamais rien ni personne. L'Amour est quête, recherche, soif inextinguible et jamais étanchée.

Le langue hébraïque est plus claire, plus précise, plus compacte, plus incisive ; il est écrit : Ani lè-Dody

wé-Dody ly

"Moi pour mon bien-aimé et mon bien-aimé pour moi".

Je suis pour lui c'est-à-dire j'existe pour lui comme lui existe pour moi : dédicace mutuelle, offrande réciproque de soi à l'autre.

Je ne vis que pour toi et je ne m'y perd pas puisque toi, tu ne vis que pour moi et que, ce faisant, tu me nourris et me renforces comme moi je te nourris et te renforce.

On le comprend, il ne s'agit pas de se renier, de se nier, de se dissoudre dans l'amour de l'autre. Ce serait idolâtrie (le plus grave de tous les péchés possibles). Il ne s'agit pas d'une arithmétique additive où tout ce que je donne, je le pers et où tout ce que je prends, je le gagne. Cela ne serait que calcul égotique aussi éloigné de l'Amour que l'est l'aventure entrepreneuriale du capitalisme financier.

L'arithmétique de l'Amour (pour autant qu'il y ait sens à raisonner dans ce langage de la quantité qu'est la mathématique) n'est pas additive, mais multiplicative. L'Amour n'est pas une transaction d'échange plus ou moins équilibré et équitable, mais un processus d'amplification mutuel et réciproque.

Ce terme d'amplification s'applique à chacun des deux sujets : chacun est amplificateur de l'accomplissement de l'autre puisque, accomplir l'autre, c'est aussi s'accomplir soi-même. Et réciproquement. Plus clairement : chaque étant tend à s'accomplir pleinement, à aller au bout de tous ses potentiels, à épuiser tous ses possibles. Mais cet accomplissement n'a sens et valeur que dans l'accomplissement du Tout dont cet étant n'est qu'une partie. Qui plus est, pour s'accomplir, il a nécessairement besoin d'alimenter son processus d'accomplissement via ce qui l'entoure. Il devient, dès lors, évident que l'accomplissement de soi passe nécessairement par l'accomplissement de l'autour de soi, à commencer par le plus proche de soi : l'Aimé.

Bienveillance, donc. Bienveillance réciproque et mutuelle. Bien veiller sur l'autre.

 

La bienveillance est nécessaire mais pas suffisante car elle deviendrait bien vite étouffante, maternante, couvante. La bienveillance est une condition à l'Amour, mais elle ne se confond pas - elle ne peut pas se confondre - avec lui.

Une seconde condition doit être remplie, jour après jour, seconde après seconde : l'Amour est un processus et non un fait. Tomber amoureux, même foudroyé par un coup de foudre dû à la flèche ardente d'un Eros (c'est le nom grec du Cupidon latin) ayant fumé la moquette, n'est qu'un déclencheur du processus ; il n'est n'est pas l'aboutissement. Le but de l'Amour n'est pas de tomber amoureux, mais de le rester et de l'être de plus en plus. "Rien n'est jamais acquis à l'homme" … surtout en Amour. Aragon en su quelque chose lui qui posait le stalinisme comme apogée du progrès humain. Son amour pour les yeux d'Elsa Triolet ne fit rien pour empêcher la déconfiture du socialisme communiste (ni pour effacer ses centaines de millions d'assassinats).

En Amour, rien n'est jamais acquis. Chaque matin doit être une reconquête car la séduction et le charme se diluent dans les sommeils de la nuit. Pénélope, l'épouse admirable d'Ulysse dans l'Odyssée d'Homère, femme amoureuse et fidèle, défaisait la nuit le tissage du jour afin de tromper les attentes de l'armée des prétendants qui l'assiégeaient de leurs ardeurs libidineuses et vénales. Ainsi se tisse l'Amour, éternellement remis sur le métier, sempiternellement à retisser sur l'étoffe des jours.

Cela signifie que l'Amour n'est pas quelque chose de donné, une fois pour toute, et que le contrat de mariage ou les salamalecs du Maire n'y changeront rien.

L'Amour est un processus, faut-il répéter. L'Amour est affaire d'effort et de volonté, de patience et de courage. L'Amour se construit. Tous les jours. Et pour le construire, il faut être deux à vouloir et à s'efforcer. Un seul ne suffit pas. Il s'épuise à la tâche. Un mur que l'on édifie, ne tient debout, que si un contre-mur s'appuie sur lui. Une passion amoureuse unilatérale conduit à l'échec et à l'amertume de l'échec … même s'il faut parfois longtemps pour prendre conscience et mesure de cet échec.

L'Amour doit être un projet. L'Amour doit être une intention profonde et durable. L'Amour ne se décrète jamais. Il se construit à deux, jour après jour, avec confiance et force, avec patience et opiniâtreté.

Et l'Amour a ses ennemis, souvent très intimes, très proches. Et, parmi eux, les enfants d'abord. L'enfant d'un couple est le plus grand danger, le plus grand ennemi de ce couple. Il veut tout. Il exige tout. Il prend tout. Et, parce qu'elle est mère, la mère tend à tout lui donner, même ce qui devrait nourrir l'Amour de son couple. Le couple alors s'efface devant l'enfant-roi, devant l'enfant-despote, devant l'enfant-prédateur. Et en s'effaçant dans l'espace, il s'efface dans le temps … jusqu'à disparaître.

L'enfant peut être une conséquence de l'Amour, mais il ne peut jamais en devenir le but. Aimer pour avoir des enfants est doublement monstrueux : d'abord parce que l'enfant n'est pas un but et, ensuite, parce que l'on n'a pas un enfants, on le met éventuellement au monde, mais on ne l'a jamais. Si souvent, l'homme épouse une fiancée qu'il aime, et dors pendant vingt ou trente ans avec une mère qui l'ignore.

Celui qui néglige l'Amour du couple pour l'amour de l'enfant, tue le couple et perd l'enfant.

 

Première condition : le bienveillance. Seconde condition : la volonté.

Viennent ensuite les quatre dimensions qu'il faut apprendre à développer pour que l'Amour s'épanouisse totalement, profondément, durablement.

Ces quatre dimensions sont celles que la philosophie grecque avait mises en évidence : l'Eros, la Sorgué, la Philia et l'Agapé.

Disons-le d'emblée : un Amour véritable et durable exige son déploiement concomitant dans ces quatre dimensions. S'il ne le fait pas, il est boiteux, cagneux, incomplet, infirme, handicapé. Il ne dure pas. Il s'aigrit. Il meurt.

Il ne s'agit donc pas de choisir l'une ou l'autre dimension pour que l'Amour de vie entre une homme et une femme puisse se développer. Il faut impérativement mener les quatre de front. En harmonie, qui plus est. En complémentarité. En synergie.

L'amitié entre deux amis ne requiert que la Philia. La fraternité au sein d'une communauté peut se nourrir de la seule Agapé. Le plaisir sexuel n'appelle que l'Eros. Et la compassion envers quiconque, humain ou non, ne réquisitionne que la Storgué. Mais, dans tous ces cas, il ne peut être question d'Amour. Amitiés, fraternité, plaisir, compassion ? Oui ! Amour ? Non !

L'Amour appelle et requiert les quatre dimensions en même temps.

 

L'Eros …

Sensualité. Sexualité. Erotisme.

Fusion des corps, donc. La peau de l'autre. Les formes de l'autre. La chaleur de l'autre. La douceur de l'autre. Mais aussi le respect de l'autre. Le plaisir de l'autre.

L'amour physique est et doit être un fête pour les deux amants. Dès qu'il y a instrumentalisation de l'autre, il y a pornographie et prostitution, il y a dégoût et souffrance, il y a vilénie et infamie.

Dès que les rapports de domination prennent la place des rapports d'affection, l'amour devient souffrance, violence, viol, torture. Il y a crime, alors. Même si l'on paie en argent pour cela ; l'argent ne fera taire la salissure et le dégoût de soi qu'en apparence.

Le viol et la torture, la souffrance profonde infligée à l'autre donc, sont les deux plus grands crimes de l'homme contre l'humain. Ils sont inacceptables. Ils sont inexcusables. La mort est le seul châtiment qui leur convienne … sans rien réparer du mal qui a été fait, cruellement, gratuitement, lâchement.

Apprendre donc à donner du plaisir charnel à l'autre.

 

La Storgué …

Affection. Tendresse. Sensibilité.

Un geste. Un sourire. Une attention. Une écoute souriante. Un clin d'œil complice. Une taquinerie gentille. Une fleur. Une bulle de champagne. Une main qui prend la main. Un bras qui enveloppe une épaule. Une larme à son départ. Une larme à son retour. Larmes tristes et larmes joyeuses. Les yeux parlent autant avec des larmes qu'avec des regards.

Rien n'est plus difficile que de philosopher sur la tendresse. Elle est un peu ce que fut le temps pour Augustin d'Hippone : tant que personne ne demande ce qu'elle est, on sait évidemment ce qu'elle est, mais dès que les questions sur elle affluent, les réponses ne viennent pas. La tendresse se vit, mais ne se dit pas. Elle est du cœur, non de la raison. Les tripes la sentent, mais l'esprit ne la sait pas.

Qu'est-ce que la tendresse ? On l'a dit : une jouissance intime de la présence, réelle ou imaginaire, de l'autre. Un bien-être incroyable liée à cette présence. Une détente de l'être. Un relâchement des toutes les tensions existentielles comme si l'autre, parce qu'il est là, en corps ou en esprit, dissolvaient les obscurités de la vie par la lumière de sa présence. Regarder l'autre en l'admirant, en bénissant la Vie de rendre ce regard et cette présence possibles. Voir la beauté que l'autre possède en elle au-delà de tous les canons de la joliesse entendue.

Apprendre donc à jouir de la présence de l'autre telle qu'elle est, dans sa réalité, dans son authenticité.

 

La Philia …

Longtemps, dans le camp des hommes mâles en occident, l'amitié et l'amour ont été artificiellement séparés. Peur inconsciente de l'homosexualité ? Peut-être … L'amour des femmes, l'amitiés des potes. Sans confusion possible ni souhaitable.

Qui aurait osé affirmer qu'il est l'ami de son épouse ? Incongruité ! L'amitié doit être virile. Camaraderie ! Souvenirs de garnison et relents de beuverie, sinon de virées mémorables ou de partouzes déboutonnées.

Il faut pourtant bien distinguer et séparer l'amitié de la camaraderie. Si la camaraderie relève bien d'une certaine grivoiserie virile "d'exploits" bien mâles, l'amitié ne s'y reconnait guère (même si l'une n'exclut pas toujours nécessairement l'autre). L'amitié est bien plus fine, bien plus intérieure, bien plus intériorisée. Elle passe par la communion des esprits ; n'y revenons pas. Seuls Montaigne et La Boétie ont osé parler de leur amitié sans passer par les fanfaronnades de la camaraderie…

C'est de cette amitié-là qu'il doit s'agir dans le couple d'un homme et d'une femme qui s'aiment. Une connivence. Une complicité. Un humour. Une entente, pour tout dire. Joli mot que celui qui dit "entente" car il dit, en même temps, que l'on s'entend et que l'on s'écoute, que l'on se comprend (au sens de l'entendement) et que l'on se comprend (au sens de l'inclusion mutuelle).

Apprendre donc à se relier par l'esprit pour ne plus former, en fin de compte, qu'une seule et même intelligence de vie.

 

L'Agapé …

Pour le dire simplement et sans ambages, dans un couple d'un homme et d'une femme qui s'aiment, l'agapé se traduit par une vue claire et commune d'un projet fort de vie commune. Une communion de destin : voilà le terme précis. Une communion de destin que n'est ni le fait du hasard, ni le fait d'une décision venue d'ailleurs (mariage de raison), ni le fait d'une pression sociale (ô famille, je te hais), mais une libre association de deux destins propres en un seul et unique destin conjugué.

Antoine de Saint-Exupéry avait cette phrase fameuse : "S'aimer, ce n'est pas se regarder dans les yeux, mais c'est regarder dans la même direction".

Cette communauté de destin(s) librement choisie et librement construite forge la pérennité du couple, le situe dans la durée vécue plus que dans le temps long. Il y a là l'idée d'un chantier sur le long terme, d'une œuvre commune à édifier, à sculpter, à ciseler.

C'est là-dedans que peuvent venir prendre place d'éventuels projets matrimoniaux et patrimoniaux. Mais bien au-delà, c'est dans cette dimension de l'agapé que se niche la spiritualité du couple, son insertion dans le cosmos, sa sacralisation et sa divinisation, sa reliance avec le grand Tout qui les enveloppe, qui les englobe, qui leur donne sens et valeur.

Apprendre donc à se construire une communion et une communauté de destin.


Amour du Réel et de la Nature

 

Le Réel. Ce qui est comme il est et comme il va. Ce qui existe. Tout ce qui existe, visible et invisible, concevable et inconcevable. La Nature est la manifestation extérieure du Réel comme la Conscience en est la manifestation intérieure.

Ma conscience est la manifestation du Réel en moi. La Nature est la manifestation du Réel autour de moi. Nature et Conscience sont les deux faces de la même médaille. Il y a amour du Réel et Amour de la Nature lorsque ces deux faces sont en phase, en harmonie, en sympathie (elles ressentent la même chose), en symbiose (elles vivent la même chose), en synchronie (elle vibrent sur le même rythme, dans le même temps), en syntonie (elles poursuivent la même intention) , en synergie (elles œuvrent ensemble).

L'Amour du Réel ou de la Nature traduit tout cela, cette unité retrouvée entre le "dedans" et le "dehors", cette unification de la partie et du Tout, du Moi et du Monde. Une sorte d'immersion extatique, ou de sentiment océanique, dirait Freud.

 

L'homme en général, l'Occident en particulier et la Modernité paroxystiquement, se sont développés contre la Nature. L'homme n'était pas fait pour la vie sauvage. Un raté de la Nature, en somme, sans fourrure ni carapace, sans griffes ni crocs, malhabile à la course et à l'escalade, inapte au vol et à la nage, d'odorat pauvre, de sensibilité grossière (contrairement aux autres animaux, il ne sent pas venir les catastrophes naturelles). Bref : un sous-doué. Jamais il n'aurait dû passer les mailles du tamis de la sélection naturelle. Il l'a fait pourtant ! Pourquoi ? Parce que ses tares physiques ont été partiellement compensées par une habileté psychique qui lui est propre, autant que je sache : l'imagination, cette capacité curieuse de réagencer des lambeaux de mémoire pour construire de l'irréel, pour peindre ce qui n'existe pas, pour anticiper ce qui n'est pas encore.

Anticiper ce qui n'est pas encore : voilà la clé unique de la survie du genre homo, depuis l'homo habilis qui imagine des outils, depuis l'homo ergaster qui imagine de long voyages, depuis l'homo erectus qui imagine l'usage du feu, depuis l'homo neanderthalensis qui imagine les arrière-monde et les après-mort, depuis l'homo sapiens qui imagine l'agriculture et l'élevage et qui, ainsi, se place non plus dans la Nature, mais face à la Nature.

Tellement en face d'elle qu'il en oubliera combien il en est partie intégrante, combien il en est dépendant.

 

Et plus l'homme sait imaginer des mondes qui n'existent pas, plus il néglige et dénigre le seul monde qui existe.

Vieux débat ! Vieux débat entre réalisme et idéalisme. Entre ce réalisme qui accepte et assume le monde tel qu'il est et tel qu'il va, et cet idéalisme qui imagine des mondes qui n'existent pas - et qui n'existeront jamais - mais qui satisfont, dans ses rêves utopiques, les caprices et phantasmes que la réalité dédaigne superbement.

Et de l'idéalisme découlent toutes les idéologies c'est-à-dire tous ces phantasmes et toutes ces illusions qui bercent les illusions narcissiques et nombrilistes des masses et qui prétendent mettre un baume sur les plaies de ceux qui souffrent.

Depuis toujours, le grand dilemme philosophique est là : entre idéalisme et réalisme, entre rêve et vérité, entre principe de plaisir et principe de réalité.

Pourtant, une vérité éclatante et évidente devrait luire sur tous les frontons et résonner dans tous les crânes : ce n'est parce qu'il souffre que l'homme va haïr la Nature, c'est parce qu'il hait la Nature qu'il va souffrir.

 

Il faut bien comprendre cette idée cruciale. Et pour ce faire, faisons un détour par un vieil argument asséné par les idéalistes contre le réalisme. Ils disent que, s'il faut accepter et assumer le Réel tel qu'il est, il faudrait donc respecter le bourreau réel qui torture et assassine réellement. L'argument est faible. Il connait de nombreuses variantes, notamment en prenant la Shoah en otage ou en mettant en scène la mort de faim d'un enfant sahélien ou d'ailleurs.

L'argument ne tient pas parce que tous ces cas cités oublient leur fondement idéologique : le bourreau sévit pour servir l'idéologie de son prince qui veut forcer, dans la violence, le peuple ou le voisin, à entrer dans ses vues fantasmatiques et mégalomaniaques ; la Shoah en la pure conséquence du délire idéologique du socialisme national et de son chef, Adolf Hitler ; l'enfant sahélien au ventre gonflé, au visage famélique et aux yeux exorbités, n'est que la conséquence de l'idéologie industrielle et marchande qui a détruit les moyens traditionnels de subsistance et de transhumance.

L'exemple le plus atroce et le plus spectaculaire de la nocivité absolue des idéologies et des idéalismes qui les sous-tendent, montre du doigt les centaines de millions d'assassinats perpétrés, en toute impunité, par les utopies socialistes : celle de Lénine et de Staline, celle de Trotski, celle de Mao Tsé-toung, celle de Pol-Pot, celle de Hitler, celle de Mussolini, celle de Castro et de tous les autres qui ont transformé, au nom de l'égalité et de la fraternité - mais toujours contre la liberté -, le monde du 20ème siècle en un immense charnier. Les idéologies industrialistes, capitalistes et financiaristes ne sont d'ailleurs pas en reste puisqu'elles ont déporté et décimé des populations entières au nom de l'efficacité et, surtout, empoisonné la Nature et transformé la planète entière en un immense dépotoir puant et invivable.

 

En résumé, il est urgent et vital d'apprendre à aimer la Nature et le Réel. Il est urgent et vital de rejeter toutes les idéologie dont le cœur sec et froid répète, depuis Platon, la même ânerie mortifère, la même antienne débile : si le monde ne vous convient pas, changez-le !

On ne change pas le Réel. Le Réel évolue selon sa propre loi, selon sa propre logique, selon son propre Logos, et l'homme y est insignifiant. Chaque fois que l'homme tente d'aller contre les lois de la Nature, l'expérience vire au cauchemar et finit dans le meurtre et la torture, dans la violence et le viol, dans les larmes et le sang.

L'orgueil humain est sans limite. Il se prend pour le maître du monde - et l'humanisme l'a toujours encouragé, en ce sens ; il suffit de relire Descartes - alors qu'il n'est qu'un tout petit apprenti-sorcier, une sale gosse capricieux pour lequel Mère-Nature montre beaucoup trop de patience et d'indulgence. Quelques bonnes claques volcaniques ou tsumaniques, quelques bonnes fessées pandémiques lui feraient le plus grand bien à ce marmouset, grotesque et vaniteux, si mal élevé.

 

Quel effort immense il est demandé, ici ! Demander à l'homme l'humilité et la modestie ; demander à l'homme de rejeter tous ses idéaux (qui ne sont que des phantasmes déguisés), tous ses idéalismes, toutes ses idéologies ; demander à l'homme s'assumer et d'accepter le Réel tel qu'il est va ; demander à l'homme de renoncer à dominer le monde pour y imposer ses caprices ; demander à l'homme de canaliser son imagination vers l'intérieur afin de trouver les meilleures manières de vivre avec le monde et non contre lui ; demander à l'homme de faire amende honorable et de jeter aux orties son narcissisme et son nombrilisme ; demander à l'homme de saborder toutes les formes d'humanisme qui, depuis si longtemps, lui font croire qu'il est "la mesure de toute chose" et qu'il est le centre, le sommet et le but du cosmos.

L'homme est-il capable d'assumer tout cela ? Ou, même, avant de l'assumer, de l'entendre ?

 

Il n'y pourtant pas d'alternative : ou bien l'homme réussit cette métanoïa, ou bien il disparaîtra de Terre, à brève échéance (je lui donne trois ou quatre générations, au plus).

Le défi est immense. Il ne sera pas relevé, ni par les masses, ni par les élites démagogiques qui les mènent par le bout du nez, aux fins de leurs visées égotiques, carriéristes ou mégalomaniaques. Ce défi pour l'avenir de l'humanité ne sera relevé que par les élites aristocratiques c'est-à-dire les élites spirituelles, de tous bords, de tous niveaux, de toutes origines, qui sauront se hisser au-delà de l'homme, qui sauront assumer leur destin qui est, dans la formulation nietzschéenne, l'avènement du surhumain, qui est le post-humanisme, qui est la réinsertion harmonieuse de l'homme dans la Nature et l'Amour de la Nature, dans le Réel et l'Amour du Réel tel qu'il est et tel qu'il va.

 

Mettre le propre de l'homme, c'est-à-dire l'imagination, non plus au service des utopies idéalistes et idéologiques, mais au service d'un nouvel art de vivre au sein de - et en harmonie avec - la Nature.

La Nature n'est ni méchante, ni cruelle. Le Réel n'est ni froid, ni malveillant. Ce sont des mensonges. Des mensonges inventés par ceux qui ont intérêt à ce que l'homme ait peur. Peur de la Nature pour qu'il construise des villes et des usines. Peur du Réel pour qu'il construise des Etats et des Lois.

Homme a toujours opposé le sauvage et le civilisé, l'état de Nature et l'état de Culture, la campagne et la ville, le paysan-païen et le croyant-citoyen (car les religions idéalistes, comme les monothéismes, sont des phénomènes purement citadins et urbains, la campagne, où la Nature, ses incertitudes et ses imprévisibilités dominent, a toujours été animiste, panthéiste, réaliste (le bon sens paysan) et naturaliste).

Il est temps de dénoncer ces oppositions artificielles et délétères. C'est la ville qu'il faut détruire, pas la campagne ! Ce sont les Etats et ses codes qu'il faut mettre à bas, et non la Nature et ses lois.

 

Aimer le Réel et la Nature. Voilà bien autre chose qu'aller, le dimanche, "herboriser" le long des allées de parcs artificiels, ou que traîner son ennui pendant des "vacances" (des vides, donc) au vert, ou que voter écolo après avoir mangé un hamburger industriel devant sa télévision.

Aimer la Nature, c'est aussi autre chose que s'extasier, par grâce esthétique, devant l'élytre d'un carabe doré ou devant les formes voluptueuses d'une papilionacée. Cette extase est certes nécessaire et bénéfique, mais elle n'est jamais suffisante. Lire avec délice les "Souvenirs entomologiques" de magnifique et provençal Henri Fabre, n'a malheureusement aucun effet contre l'hécatombe monstrueuse des ruches et abeilles qui sont, pourtant, responsables - bénies soient-elles - de soixante-dix pourcents de la pollinisation de par le monde.

Aimer la Nature, c'est avant tout autre chose, renoncer à l'exploiter, à la piller, à la saccager, à l'empoisonner, à la polluer pour satisfaire, à bon marché, nos caprices de consommation et de confort.

 

Mais, plus profondément encore, aimer (vraiment) la Nature n'est possible qu'après avoir appris à aimer (vraiment) le Réel. Il ne s'agit plus, là, de simple éthique de vie. Il s'agit là de métaphysique ! Car toute éthique qui ne s'appuierait pas sur une métaphysique sous-jacente, n'est que leurre et faux-semblant.

Aimer le Réel est un acte métaphysique. Le plus métaphysique de tous les actes. Aimer le Réel ; aimer le processus cosmique tel qu'il se développe, en expansion, en complexification, en accélération ; aimer l'intention d'accomplissement qui anime tout ce qui existe ; aimer cet immense organisme vivant qu'est l'univers, où tout dépend de tout, où tout est cause et effet de tout, où tout est relié à tout ; aimer ce Réel qui se construit, patiemment, sur sa propre mémoire ; et aimer cette mémoire cosmique où s'est inscrite toute la mémoire de nos filiations antérieures et tous nos destins futurs, voilà le défi métaphysique le plus immense qu'il puisse s'imaginer !

 

Car c'est bien d'un Amour métaphysique qu'il s'agit d'abord (nous parlerons d'Amour spirituel au paragraphe suivant).

Aimer ce qui est au-delà des apparences et qui leur donne sens et valeurs. Aimer cet invisible vivant que la Nature exprime et qui se manifeste par elle. Dépasser les apparences, donc, et enfin aimer cet univers qui est le nôtre et que nous (re)connaissons si peu, et que nous (re)connaissons si mal. Aimer cet univers vivant et holistique qui est à la fois notre mère à tous et notre père à tous, dont, tous, nous sommes issus par les linéaments mystérieux des émergences, des filiations, des bifurcations, des sursauts, des accidents de la Vie cosmique.

Car la Vie est une ! Car l'univers est un organisme vivant. Car chacune de nos vies n'est que la manifestation de cette Vie-une et éternelle. Car par elle, nous vivons l'éternité, de l'éternité et dans l'éternité. La mort n'est que le symétrique de la naissance ; la Vie, elle, est immortelle et nous participons, à) chaque instant, de cette immortalité.

 

Il faut aimer la vie et, au-delà de la vie, la Vie ! Tout est vivant et tout mérite Amour. Seul l'homme a voué un culte à la Mort et a fait de la Mort une issue à la Vie, hors de la Vie, hors du Réel de la Vie et de la Vie du Réel. Seul l'homme peut être haï par l'homme ; seul l'homme est détestable lorsqu'il choisit la Mort, lorsqu'il choisit, par haine ou par orgueil ou par bêtise, de donner la Mort à un vivant, si infime soit-il !

Dans la Nature, la Mort n'existe pas. Il y a des décès et des naissance, il y a des proies et des prédateurs, il y a des cycles et des fins de cycles, mais il n'y a pas de Mort. La Mort est une invention humaine pour échapper au Réel et à la Vie.

 

Amour du Divin

 

On l'a vu : aimer le Réel est l'acte le plus métaphysique qui soit. C'est un acte rationnel puisqu'il a une bonne raison d'être et que l'on a une bonne raison de le poser : vivre bien dans le monde tel qu'il est et s'y accomplir en toute paix, en toute tranquillité, en toute sérénité, sans plus de peurs ni d'angoisses, la mort y étant abolie et la souffrance y étant décryptée comme refus du Réel.

 

A ce stade, la métaphysique trébuche sur une dernière question que seule la mystique peut aborder avec un sourire complice : comment donner un visage au Réel ou, autrement dit, comment le rendre accessible par d'autres voies que celles du Corps (l'Eros au contact de la Nature) et de l'Esprit (la Philia ou Connaissance du Réel comme vérité dernière) ?

Comment découvrir ce visage avec les yeux du Cœur et de l'Âme ?

Osons une définition, : Dieu est le visage du Réel !

Et, tout de suite, insistons : le Dieu dont il est question ici n'est pas le Dieu personnel et étranger, idéalisé et providentiel, des monothéismes et des théismes, il est le Dieu d'Héraclite, de Plotin, d'Eckhart, de Spinoza, de Pascal (partiellement), de Schelling, de Hegel, de Bergson, d'Einstein, de Heidegger, mais aussi celui de la Kabbale, du Vedanta et du Tao ; il est le Dieu des panthéismes, des panenthéismes, des naturalismes, des monismes, des immanentismes, et même celui des animismes, des chamanismes.

Ce Dieu-là est le visage du Réel. Ce Dieu-là est le Dionysos d'Orphée et de Nietzsche. Ce Dieu-là n'est pas créateur (il n'y a d'ailleurs jamais de création au sens théologique, il n'y a que des émanations, des émergences, des bourgeonnements) ; il n'est pas créateur mais il est création, non de l'homme, mais du Réel pour l'homme, pour le regard de l'homme, pour le cœur et l'âme de l'homme. Ou, plus exactement, ce visage est dans le regard de l'homme, dans le cœur et dans l'âme de l'homme comme un moule prêt à accueillir sa pensée, sa méditation, son émoi, son extase.

 

Cette idée du Visage, de Dieu en tant que Visage du Réel, nous renvoie vers Emmanuel Levinas, chantre et apôtre du visage de l'autre, du visage de l'autre qui nous dévoile à nous-mêmes en tant qu'il nous regarde et que, nous regardant, il nous questionne et nous révèle ce que nous sommes et devenons.

Vu sous cet angle, n'est-il pas évident que l'homme moderne se soit si profondément détourner de l'idée de Dieu, de ce Visage qu'est Dieu et qui le regarde et (le regardant, le dévoile et le révèle à lui-même pour ce qu'il est : un pillard, un saccageur, un voyou, un prédateur, un tueur, un tortionnaire … Faut-il encore rallonger cette liste d'infamie ?

L'homme moderne, tout gonflé de ses idéaux mortifères et orgueilleux qu'il drape dans le manteau obscur des soi-disant "Lumières", ne peut plus affronter Dieu, c'est-à-dire ce regard de la Vie qui le dénonce à lui-même. Il lui fallut oublier Dieu, enterrer Dieu, voiler Dieu, lui crever les yeux pour qu'il cesse de le regarder ! Quel miroir effrayant ! Quel miroir sans pitié, sans concession, sans flagornerie.

Il lui fallut écraser ce Visage-là. De toute urgence. Depuis le 18ème siècle, siècle du déclenchement des fièvres industrialistes, financiaristes, colonisatrices, nationalistes, démagogiques et idéologiques, l'obsession fut constante : arracher ce Visage qui regarde et accuse comme l'œil de Dieu au fond de cette tombe obscure où Caïn cachait son opprobre. Arracher ces yeux et les regards terribles qu'ils portent.

 

Car au fond, qu'est-ce que ce Dieu, Visage du Réel, sinon la Conscience dont chacune de nos consciences humaines n'est qu'un pâle et infime reflet ? Une Conscience qui a conscience de tout et du Tout et que nos consciences orgueilleuses ne veulent plus reconnaître.

L'homme n'est-il pas mesure de toute chose ? La conscience humaine n'est-elle pas la seule qui vaille ? L'homme aurait-il des comptes à rendre ? N'est-il pas son seul juge, son seul dieu, son seul mérite ?

Ah, bon dieu ! Quel gâchis !

 

Le Visage du Réel parle au Cœur et à l'Ame des hommes qui sont prêts à le recevoir, à l'accueillir en eux. Il atténue l'impression de distance et d'inaccessibilité que le concept du Réel intellectif et que la présence de la Nature immense amplifient.

Le Ré&el semble lointain. Dieu le rend plus proche, Dieu l'intériorise. Dieu le sacralise, aussi.

Car qu'est-ce que l'intériorisation sinon le lien direct qui unit le Cœur à l'objet de son Amour ? Car qu'est-ce que la sacralité sinon le lien direct qui unit l'âme à l'objet de son Amour ?

Lorsque le Réel devient Dieu, il permet cette intériorisation et cette sacralisation, il permet cette proximité intime qui nourrit les braises ignées du Cœur et les éthers aériens de l'Âme.

Le Feu et l'Air monte, s'élève vers les hauteurs infinies alors que la Terre du Corps et l'Eau de l'Intellect descendent, par gravité, vers les profondeurs les plus abyssales.

La verticalité a deux infinis !

Le Réel est au plus profond. Dieu est plus élevé. Et le plus profond et le plus élevé sont une seule et même chose. Les upanishad vedantins l'avait déjà consigné, il y a bien longtemps : Atman égale Brahman …

 

Généralement, je préfère parler du Divin plutôt que de Dieu, parce que le Divin est un concept plus abstrait, moins personnalisable, moins anthropomorphique. Le Divin m'est préférable par peur de toute confusion - si dommageable - avec le Dieu personnel des théismes dont il est l'exact contraire.

Mais je m'en abstiendrai ici car, précisément, et pour autant que, comme je le crois, ce risque de confusion entre Dieu est suffisamment prévenu pour devenir nul, il faut que Dieu ne soit pas un concept abstrait mais un Visage souriant qui enflamme le Cœur et élève l'Âme. Il ne s'agit plus de parler à l'Esprit intellectif, ni de caresser le Corps charnel.

Il s'agit d'ouvrir les portes aux deux voies de la Mystique : celle du Cœur et celle de l'Âme pour vivre le Réel au plus profond et au plus élevé, et non plus le dire, seulement.

Dieu donc ! Un Dieu qui est le Divin avec un Visage. Avec un regard. Avec un sourire. Avec des rires et des larmes. Avec le clin d'œil de la connivence et le froncement de sourcils de la désapprobation. Avec l'œil écarquillé de l'étonnement et la moue terrible du dégoût.

Dieu : le Visage du Réel !

 

Le Visage divin …

Depuis toujours, la sagesse s'oppose aux idolâtries. Pourquoi ? Parce que l'idolâtrie rabaisse le Divin à l'humain. L'humanisme, par exemple, est la pire de idolâtrie où l'homme s'adore lui-même comme un dieu. Et l'idolâtrie, quelle qu'elle soit, mène à l'esclavage. L'humanisme a fait le lit de tous les esclavages de notre époque, de toutes nos assuétude à l'hyperconsommation, au confort, à la technologie, aux loisirs, à la facilité, à la paresse, au panem et circenses (McDo et TV, pour parler contemporain), etc …

Depuis toujours, la sagesse tente de dissuader les masses de sombrer dans l'idolâtrie (qui est la solution de facilité, donc celle que préfèrent les masses) : elle montre les idolâtres du doigt et avertit les masses qu'elles risquent de devenir comme eux. Et les masses, réjouies, de s'engouffrer, avec délice, dans la brèche et la promesse ainsi ouvertes.

Mais qu'est-ce qu'une idole ? Un dieu dont on dessine le visage ! Il faut donc que Dieu reste ineffable, que jamais on ne puisse le représenter, le tracer, graver, buriner, le dessiner, peindre, sculpter. Au moins, sur ce point, le Judaïsme et l'Islam sont d'accord …

Le Bien-Aimé du Cœur et de l'Âme est un Visage sans avoir de visage.

 

Aimer Dieu, c'est aimer le Visage du Réel avec le Cœur et l'Âme, non pas contre, mais hors les perceptions du Corps et les conceptions de l'Esprit.

Il ne s'agit plus de raisonner, mais de résonner. Il s'agit d'entrer en reliance et en résonance avec le Réel qui présente son Visage divin à l'adoration du mystique.

Car "adoration" ou "prière" sont les autres mots, d'origine religieuse, surtout chrétienne, pour dire "reliance" et "résonance". On pourrait dire, aussi, "méditation" et "union".

Depuis que l'homme enterre ses morts entourés de victuailles, armes et bijoux pour eux, et enveloppés de rites pour lui, l'homme cherche à entrer en contact avec l'invisible qu'il ne sait pas encore être le Réel. Il cherche un au-delà … des apparences. Kant dirait, sans doute, qu'il aspire au noumène derrière le phénomène.

Oui, mais voilà : les sens de son Corps physique ne lui offrent que des images de l'apparence de son monde et son Esprit intellectif ne construit ses concepts qu'à partir de ces images partielles et partiales, lambeaux d'apparence. Il croit donc, comme Kant plus tard, que la réalité du Réel lui est définitivement et absolument inaccessible, et qu'il doit se contenter de ces éclats de reflets pour mener sa vie, en étranger qu'il se sent, si loin de la réalité du Réel.

Comment, dès lors, aimer un Réel absent, sans visage, inaccessible dans ce qu'il est vraiment, dans sa réalité vraie, inatteignable par le Corps qui ressent et par l'Esprit qui pense ?

 

Reliance et résonance, donc, par le Cœur et par l'Âme.

Plus facile à écrire qu'à réaliser. D'ailleurs, toutes les contrées et toutes les époques ont chercher des méthodes qui permettent cette reliance du Cœur et cette résonance de l'Âme. Les espoirs furent immenses, mais il est bien difficile d'en apprécier les résultats réels.

Cela va des yogas de l'Hindouisme aux méditations du Bouddhisme ou du Zen, de l'érotisme du Tantrisme ou non-agir du Taoïsme, de l'hésychasme de l'Orthodoxie chrétienne aux rondes du Soufisme derviche, de l'oraison du Catholicisme à la guématrie du Kabbalisme …

Essayons de creuser …

 

D'abord, la reliance par le Cœur.

Il s'agit de faire taire l'Esprit intellectif et le Corps sensitif. Ce qui est bien plus facile à dire qu'à faire, tant nos sens et notre pensée (conceptuelle) ont l'habitude de tenir le devant de la scène dans notre conscience éveillée. Il faut cependant bien qu'ils se taisent et cessent leur babil afin que tout le reste ait une chance de se faire entendre. Il s'agit alors de se laisser imprégner par le Réel, de l'accueillir sans le penser, sans le sentir. De le laisser prendre toute la place, de se laisser envahir. Dans la solitude et le silence. Un peu comme dans cet état d'extrême lucidité que l'on vit au réveil, lorsque la raison et les sens sont encore endormis, mais que le psychisme est encore plein de l'activité des rêves et de l'acuité des vigilances.

Se vider pour que l'on puisse se remplir. Ne plus sentir, ne plus penser, juste vivre et s'inscrire dans la Vie, dans le flux, dans le flot. Probablement, sont-ce les exercices de la méditation zen qui sont la voie la plus proche de celle recherchée et décrite ici.

 

Ensuite, la résonance par l'Âme.

Là, la voie est plus lumineuse car qu'est-ce que l'Âme si ce n'est ce qui anime, donc l'intention profonde qui tend à réaliser l'accomplissement de soi, en soi et autour de soi. Dès lors, il devient assez clair que la résonance de l'Âme se confond avec les parfaites syntonie et synchronie entre l'accomplissement de soi et l'accomplissement du Tout, du Réel, de Dieu.

Il s'agit de rompre le dualisme, si occidental, entre le Moi et le Tout, et d'instaurer entre eux une dialectique de la convergence.

Non une dialectique visant l'union des Êtres (en forme d'Unio Mystica chrétienne, c'est-à-dire en forme d'abolition du soi dans le Soi), mais bien une dialectique visant la convergence des Devenirs (c'est-à-dire dans le maintien de la bipolarité local/global entre le soi et le Soi).

Concrètement, cela revient , en permanence, à chaque instant, à accorder (au sens musical et instrumental) son action personnelle avec le flux des énergies cosmiques en soi et autour de soi, à s'inscrire dans le flot du monde qui coule vers son destin qui est aussi mon destin. Il s'agit donc d'être dans une vigilance extrême et de ne jamais se laisser distraire de son destin, de sa vocation, de son intention foncière.

Le no-agir taoïste est, vraisemblablement, la doctrine qui se rapproche le plus de cette approche.


Marc Halévy, 12-13 août 2013



[1] Quitte à me répéter de livre en livre, je tiens à préciser, encore une fois, que, sous ma plume, le mot Dieu pointe vers le Dieu d'Héraclite, de Plotin, d'Eckhart, de Spinoza, de Nietzsche  (Eh oui : chez Nietzsche, le Dieu qui est mort, c'est le Dieu du Christianisme, pas Dionysos - voir mon "Nietzsche - Prophète ?" chez Oxus - 2013), de Teilhard de Chardin et d'Einstein, le Dieu du panenthéisme ou du panthéisme, le Dieu du monisme que l'on pourrait, aussi bien, appelé Brahman ou Tao, et qui est tout le contraire du Dieu personnel, extérieur et étranger à l'univers, tel que le présentent les dualismes idéalistes et théistes.