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De la Rédemption

En réponse à une question posée par Anelia Caron (une lectrice attentive de ce site) … Rédemption juive (payer la dîme) et rédemption chrétienne (le pendant du péché originel) s'opposent. Nul besoin de rédempteur!

Le substantif "rédemption" est issu du verbe "rédimer" : payer la dîme qui, dans la Bible hébraïque, désignait la dixième partie des récoltes que les Juifs anciens, conformément aux prescriptions lévitiques, devaient offrir au Temple en remerciement de  cette provende. La dîme était donc un impôt sur le revenu, un impôt sacerdotal permettant de faire vivre le Temple et ses Lévites.

Par extension, le mot "dîme" a été étendu au paiement d'une somme d'argent au Temple pour toute première naissance, y compris celle du fils ainé.

Ainsi, dans la tradition juive lévitique - encore parfois vivante concernant le fils ainé - la dîme, donc la rédemption, était un acte de grâce, de louange et de bénédiction envers le Divin que l'on remercie de ses largesses à notre égard.

 

Avec le christianisme, tout change. La rédemption devient le pendant du péché originel : l'homme naît coupable et doit être rédimé par un rédempteur. La rédemption est la mission première du Christ qui doit sauver le genre humain de son enlisement dans ce péché originel inventé de toutes pièces par Augustin d'Hippone au quatrième siècle.

La théologie chrétienne se réfère au troisième chapitre du livre de la Genèse, dans la Bible hébraïque, pour justifier le concept de péché originel qui entacherait toute âme humaine dès la naissance.

Le texte biblique, lui, ne dit rien de tel. La plupart des herméneutes, tout au contraire, voient dans cette épisode du "fruit défendu", un complot tramé par Dieu, en connivence avec le serpent-devin (Na'hash, en hébreu, a ces deux sens), pour forcer l'homme a sortir de l'inconsciente animalité et pour assumer la conscience humaine de la souffrance et de la mort et, ainsi, entrer réellement dans le vrai monde et dans la vraie vie.

 

Si on lit attentivement le texte, en hébreu, on voit assez vite que le fruit qu'Eve ("la Vivante") partage avec Adam ("l'Humain") est le fruit de l'Arbre planté au milieu du Jardin d'Eden. Or, l'Arbre planté au milieu de ce Jardin est l'Arbre de la Vie et aucunement l'Arbre de la Connaissance. Mais passons …

Pendant des siècles, la pathologique pudibonderie chrétienne a vu, dans ce fruit interdit et volé, le symbole de la sexualité. Preuve en est que l'avènement du Rédempteur ne pouvant passer par l'objet central de la rédemption, la naissance de Jésus devait être absolument virginale. Passons encore …

 

Ainsi, rédemption juive et rédemption chrétienne s'opposent - comme le reste - fondamentalement. Bénédiction d'une part, malédiction d'autre part. Grâce d'un côté, péché de l'autre. Optimisme et devenir pour les uns, pessimisme et être pour les autres.

 

Cette notion de péché originel qu'il faudrait rédimer, est proprement absurde. Un Dieu qui pousserai ses propres créatures à commettre un péché indélébile, serait cruel. Un Dieu qui rendrai un tel péché inéluctablement héréditaire, serait injuste.

La grande initiation du Jardin d'Eden deviendrait, en ce sens, un piège infâme, indigne d'un Dieu de qualité. Certaines sectes chrétiennes ne s'y sont d'ailleurs pas trompées en faisant du créateur de la Genèse un démiurge démoniaque, totalement disjoint du vrai Dieu.

La départ de l'homme hors du Jardin d'Eden est une libération et aucunement une malédiction. C'est à ce moment précis que l'homme quitte l'animalité et entre en humanité.

Il a enfin conscience de ce qu'est la Vie ; il devient vivant.

Et Dieu lui sourit !

"Va ton chemin, petit homme, et rédime le bonheur d'être vivant en partageant avec Moi, une part de tes récoltes et des bienfaits qui t'adviennent".

La Vie n'est pas toujours tendre, il est vrai. Et l'homme y connaît des échecs (c'est le sens du mot hébreu traduit pas "péché") parfois terribles. Dieu n'y est pour rien. Dieu n'est pas une institution d'assistance publique. L'homme est totalement responsable de ses malheurs.

Nul besoin de Rédempteur.

 

Car, théologiquement parlant, s'il n'y a pas de péché originel, toute la thèse de la Rédemption et du Salut par le sacrifice du Christ s'effondre d'un bloc. Il n'y a rien à racheter. Il n'y a rien à sauver. Il n'y a aucune malédiction qui pèse sur l'humanité sinon sa propre bêtise, sa propre ignorance, sa propre barbarie. Et ce n'est pas la mort d'un pauvre Juif sur une Croix d'infamie qui y changera quoique ce soit. D'ailleurs cette mort n'a rien changé … L'humanité est toujours aussi barbare.

L'homme a une mission. Sans malédiction. Cette mission est clairement exprimée au verset 15 de notre fameux chapitre 3 de la Genèse : "Et YHWH des dieux s'unira avec l'humain et il l'amènera dans le Jardin d'Eden pour le travailler et pour le protéger".

L'homme, parce qu'il est conscient de la Vie en œuvre dans le monde, est chargé de travailler et de garder ce monde pour que la Vie s'y accomplisse.

S'il ne remplit pas sa mission du mieux possible, l'homme se condamne lui-même à tous ses propres malheurs. C'est bien ce qui se passe. Tant pis pour lui.

Et Dieu en pleure !

 

Marc Halévy, 31 décembre 2016.