Tisserand de la compréhension du devenir
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Les Idéologies et les "Lumières"

Les spectaculaires retournements que nous vivons (Brexit ; élection de Trump ; désaveu massif d'Obama, de Hollande, de Sarkozy, de Renzi, montée de Fillon, Macron et Le Pen, …), figurent la fin des caciques démagogiques héritiers des "idéaux des Lumières" …

Ce que l'on appelle la "philosophie des Lumières" porte un nom technique : le "criticisme" dont le penseur-clé, sur le continent européen, fut Immanuel Kant. En France, il n'y eut pas à proprement parler de "philosophes des Lumières", mais bien des idéologues (Rousseau, Montesquieu), des encyclopédistes (Diderot, d'Alembert, …) et des pamphlétaires (Voltaire, d'Holbach, …). Hors Kant, tout cela ne vole pas très haut.

Le criticisme s'inscrit dans la chaîne de la pensée moderne : l'humanisme au 16ème siècle (Erasme, Montaigne, La Boétie, Pic de la Mirandole, Marsile Ficin …), puis le rationalisme du 17ème siècle (Galilée, Leibniz, Descartes, Pascal, Spinoza, Hobbes, Newton, …), puis le criticisme du 18ème siècle (Kant, Hume, Locke, Stuart Mill, …), puis le positivisme du 19ème siècle (Comte, William James, Marx, …), … pour arriver, en fin de course, au nihilisme du 20ème siècle (Kierkegaard, Husserl, Wittgenstein, Russell, Sartre, Foucault, …).

 

Ces cinq étapes successives de la même pensée moderne, se sont construites sur l'idée centrale de Progrès. Puisque la modernité voulait rejeter toute théologie et, dans la foulée, toute métaphysique, l'homme se sentit libéré - ou, à tout le moins, libérable - de tout ce qui le dépasse (que cela s'appelle Dieu, Nature, Cosmos, … importe peu).

L'homme se plaça lui-même comme centre, but et sommet de l'univers entier.

Le problème n'était plus, pour l'homme, de trouver sa juste place dans l'ordre d'un Réel tel qu'il est et tel qu'il va, gouverné par un Principe transcendant ou immanent qui lui donnait sens et valeur.

Le problème était d'évacuer le Réel, de s'en extraire, de vivre "hors sol" et de construire une société humaine "idéale", enfin émancipée d'un Réel si encombrant.

A ce carrefour, la mort supposée de l'ontologie ouvrit grandes les portes à l'idéologie.

Toute métaphysique ayant été évacuée au rang de "bavardages stériles", l'homme put enfin penser exclusivement à lui, sans les boulets du Réel, de sa logique cosmique et de ses contraintes vitales.

 

L'homme se sentit "libre" et "libéré" de tout : des religions (grâce à l'athéisme), des rois (grâce au démocratisme), des lois de la Nature (grâce au technologisme).

Et les idéologues - qui avaient banni les métaphysiciens - se penchèrent avec frénésie sur cette question de la liberté.

Liberté pour qui ? Liberté comment ? Liberté pour quoi faire ? Liberté quand ? Liberté absolue ou relative ?

Puisque toute obéissance à un Dieu ou à un Roi était devenue inconcevable, la dure réalité humaine effectua, assez vite, un choc en retour terrible. La Terreur de Robespierre tenta, en vain, de rejeter cette réalité humaine. La voici : la masse des hommes n'a que faire de la liberté ; du pain et des jeux, c'est tout ce qu'elle demande. De plus, lorsqu'on lui parle de liberté, elle entend "caprice" : le droit de faire tout et n'importe quoi, quand on veut et comme on veut … Et voilà cette masse inintelligente prête à s'enfoncer dans la barbarie la plus sanglante, comme en 1792, en 1848, en 1870, en 1917, etc …

 

Heureusement, la mémoire occidentale avait gardé souvenir de l'ancien Empire romain et des deux notions capitales d'Etat et de Loi. Le devoir d'obéissance des masses avait muté et était passé de Dieu et du Roi (le sujet chrétien), à l'Etat et à la Loi (le citoyen crétin).

Quel progrès ! Changement de maîtres, nouvel esclavage … et la masses furent satisfaites d'être débarrassées de cet encombrant fardeau qu'elles n'avaient pas demandé : la liberté.

Mais quel Etat ? Mais quelle Loi ?

Le 19ème siècle forgea trois idéologies toujours centrales aujourd'hui afin de répondre, le moins mal possible, à ces questions qu'il jugeait cruciales …

  • Le bourgeoisisme (la "droite") : l'Etat doit être au service de la plus grande prospérité possible, ensuite répartie équitablement selon le mérite au travail de chacun ; on retrouve sous cette bannière le conservatisme, le souverainisme, le protectionnisme, le nationalisme, etc ….
  • Le socialisme (la "gauche") : l'Etat doit être au service de la plus grande égalité dans une lutte forcenée contre tous les particularismes, contre tous les individualismes, contre tous les différencialismes (on distingue habituellement, mais à tort, les socialismes nazi, fasciste, communiste, gauchiste, révolutionnaire et populiste : ce sont tous des facettes d'un même totalitarisme plus ou moins insidieux).
  • Le libéralisme : le libéralisme combat l'Etat et l'étatisme, tant bourgeois que social, sous toutes ses formes ; il donna lieu à de nombreuses écoles qui vont de l'anarcho-syndicalisme de Proudhon, au libre associationnisme d'Owen en passant par le libertarisme de David Friedman ou le libéralisme entrepreneurial de Friedrich von Hayek.

De ces trois idéologies, les deux premières sont délétères dans la simple mesure où elles tendent toutes deux à proroger les institutions moribondes d'une modernité déjà morte.

Seul le libéralisme est capable de remettre toutes ces institutions en question (à commencer par celle de l'Etat jacobin et national) et à initier le nouveau paradigme qui devra prendre le relais du précédent : feu le paradigme des Lumières et de l'ère moderne, feu le paradigme du financiaro-industrialisme, du géo-nationalisme et du social-étatisme.

Marc HALEVY, 21 janvier 2017