Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Réseaux : autonomie, subsidiarité, émulation et suppléance.

Une interview pour Decathlon, à propos du fonctionnement des réseaux.

- Comment expliquez-vous la différence entre l'autonomie et la subsidiarité ?

L'autonomie est un droit.

La subsidiarité est un devoir.

L'autonomie est le droit qu'a chaque entité du réseau de traiter ses propres problèmes :

  • selon son contexte intérieur c'est-à-dire les compétences et talents, les budgets et outils dont elle dispose réellement,
  • et selon son contexte extérieur c'est-à-dire ses propres contraintes locales, administratives et commerciales, sociales et infrastructurelles.

La subsidiarité est le devoir et la responsabilité impérieuse qu'a chaque entité du réseau de résoudre localement, les problèmes qui se posent à elle et ce :

  • dans le cadre strict et le respect total du projet, des valeurs et des priorités globalement décidés par le réseau,
  • dans un esprit de totale solidarité et avec l'aide gratuite des autres entités du réseau qui offrent, par définition et si on les leur demande, leurs compétences, talents et expériences,
  • et dans un climat de totale confiance notamment par application des principes de droit à l'erreur et de courbe d'apprentissage pour les problématiques neuves et inconnues.

 

- Notre réseau de partenaires est un réseau d'entreprises autonomes et animées par un même sens de "rendre leur produits disponibles au meilleur prix pour développer la pratique du sport "... donc en parfaite concordance avec la définition que vous donnez d'un réseau . Mais certaines d'entre elles sont sur les mêmes produits donc concurrentes à un certain niveau. Cela pourrait être un "ralentisseur" de collaboration parfois …

Quelles sont vos recommandations pour esquiver cet écueil (par exemple par rapport a la solidarité) ?

Je crois plus à la notion d'émulation qui me paraît toujours positive, qu'à celle de concurrence qui peut parfois être négative et mal perçue.

Je pense que l'émulation entre les entités d'un réseau est un puissant stimulant pour développer l'excellence et la virtuosité de chacune de ces entités. Cette émulation positive ne peut devenir une concurrence destructrice et agressive que dans un réseau malade :

  • où les entités confondent autonomie et indépendance,
  • où l'esprit de corps et donc les intérêts communs se sont affaiblis du fait que les liens de solidarité, de confiance et de bienveillance se sont distendus, voire brisés,
  • où les managers ont mis leur ego au-dessus de leur mission,
  • où les ambitions personnelles des entités ou de leurs managers ont pris le pas sur le projet collectif du réseau,
  • où l'humour, la complicité et la connivence entre les hommes ont disparus,
  • où l'esprit de fête et d'aventure communes qui forge l'esprit d'entreprise, s'est perdu dans le marais des glorioles et démagogies mesquines.

Mes recommandations pour éviter le délitement du réseau dans la malsaine concurrence entre entités ? L'amitié ! L'animation d'un réseau doit être un puissant amplificateur d'amitié. Se connaître, s'apprécier, pouvoir compter sur l'autre, se rencontrer, s'amuser ensemble, prendre du bon temps ensemble, faire des activités collectives en petits groupes, s'inviter les uns chez les autres, se visiter, se parler … et, aussi, de temps à autre, si c'est nécessaire, s'engueuler une bonne fois, mais dans le respect des personnes et sans violence d'aucune sorte.

 

- Je trouve que la suppléance est indispensable a la subsidiarité … Comment s'applique-t-elle dans un réseau ?

La suppléance est toujours une réponse à la défaillance. Le principe de subsidiarité impose que chaque entité locale prenne la direction et la responsabilité de la résolution de ses problèmes locaux. Mais, évidemment, l'homme est ainsi fait, il peut advenir que cette prise en main ne se fasse pas ou se fasse trop mal.

Alors, bien sûr, mais avec sagesse et précaution, en totale transparence et bienveillance, le droit d'ingérence devient un devoir et la suppléance s'impose.

Il faut éviter les attaques ad hominem qui sont toujours improductives. C'est une situation qu'il faut combattre, pas un individu, même s'il a été ou est défaillant.

C'est le problème qu'il faut résoudre, pas les défauts du bonhomme.

Il ne s'agit pas, non plus, de sombrer dans l'angélisme et de croire ou laisser croire que "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Le monde réel n'est évidemment pas un monde de bisounours.

Lorsque je dirigeai un gros groupe au Etats-Unis, j'avais fait mettre un message écrit à côté de ma porte : "If you are not a part of the solution, you are a part of the problem" (Si tu n'est pas une partie de la solution, c'est que tu es une partie du problème).

Un plaisantin - qui croit toujours que je ne sais pas qui il est - a d'ailleurs un jour ajouter un autre message, dessous le mien : "You do not need to be crazy to work here, but it helps" (tu n'a pas besoin d'être fou pour travailler ici, mais ça aide). Je l'y ai laissé ! Bref …

Dans tout réseau, il existe des fruits pourris, c'est une évidence. Et si l'on ne veut pas que tout le panier se mette à pourrir, par contamination, il ne faut jamais hésiter à écarter le fruit pourrissant. Mais en général, dans un réseau sain, ce genre de cas est plutôt rare parce qu'un réseau sain est "autonettoyant".

Et il sera d'autant plus rare si le processus de recrutement, tout en amont, est très exigeant pour les dirigeants d'entité d'abord, mais aussi pour leurs collaborateurs. Il y faut une exigence pas seulement technique en termes de compétences ou d'expériences ; il y faut aussi, et peut-être surtout, une exigence éthique, caractérielle, comportementale.

Un réseau est une communauté de vie et, donc, un organisme vivant. Comme tel, il a ses propres mécanismes de rejet en matière de greffes. Recruter quelqu'un, c'est imposer une greffe au réseau. Le greffon sera d'autant mieux toléré qu'il se montre capable et désireux de faire corps avec les autres, de partager profondément leur mission, leur vocation, leur projet et leurs valeurs … et qu'il le démontre par ses faits et gestes.

Marc Halévy pour DECATHLON, 26 janvier 2019