Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

HEGEL

Notes de Marc Halévy d'après le "Hegel" de Bertrand Vergely

Contexte

Un trio génial d'amis - le "trèfle" - : Schelling, Hölderlin et Hegel. Le philosophe spiritualiste de la Nature. Le poète romantique de l'esprit allemand. Le métaphysicien de l'idéalisme absolu.

Venus de Kant (le philosophe de la raison morale) et élevés par Fichte (le philosophe de l'intériorité subjective) et Goethe (l'esthète de la Nature).

Ce que Hegel reproche à Kant : son criticisme (penser afin de savoir si l'on peut penser) et son rationalisme (refuser l'intuition comme voie alternative de connaissance).

Idées

L'idée est forme pure, désincarnée.

L'esprit est ce qui engendre, transforme, met en œuvre les idées.

Le Réel est l'ensemble de toutes les "choses" (res en latin) qui existent ; il est la chose qui contient et lie et met en œuvre toutes ces choses.

Il n'y a pas de réel sans idée puisque ce qui est réel a forcément une forme : l'informe pur est le néant.

Le Réel est donc Esprit ; le Réel est un Esprit qui pense des idées, y compris l'idée de substance par laquelle les idées s'incarnent en choses pour les consciences particulières qui participent de cet Esprit.

Hegel appelle ce point de départ l'idéalisme absolu comme dépassement de l'idéalisme objectif de Platon et de l'idéalisme subjectif de Descartes.

Il conviendrait d'appelé ce point de départ hégélien un "spiritualisme" plutôt qu'un idéalisme.

L'Esprit qui pense est Histoire, il est en devenir ; il est Devenir puisque toute pensée qui pense se transforme sans cesse, puisque l'acte de penser est mouvement.

L'équation hégélienne originelle est donc : Réel = Esprit = Devenir .

Il s'agit donc d'atteindre l'Esprit au-delà des apparences de la manifestation, d'atteindre l'Histoire qui est la logique du Devenir, au-delà des histoires qui se manifestent.

L'esthétique, en tant que tension vers la perfection de la forme - donc de l'idée - , est nécessairement aussi le fondement de cette tension de l'Esprit vers lui-même qui est le moteur intime de l'Histoire et du Devenir dont la perfection de la forme devient, alors, la finalité, au sens de Kant.

De plus, ce Devenir est consistant, cohérent et cohésif : la Forme ultime qui contient, relie et met en œuvre toutes les formes de l'Esprit, tend à sa propre perfection. Cette tension claire fonde la rationalité de l'Esprit, donc du Réel ce qui amène Hegel à proclamer son célèbre aphorisme : tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel.

L'ensemble de la pensée hégélienne vise à réconcilier la conscience humaine et le réel spirituel, à réintégrer cette conscience dans ce réel. Hegel vise la réconciliation moniste non dans l'absolu de l'instant, mais dans le fil de l'Histoire, par convergence plus que par reliance.

Avec Leibniz et Schelling et contre Descartes, Hegel refuse la solitude absolue du "Je", du moi face au monde opaque ; il enracine, au contraire, l'homme dans l'histoire du monde et de la Nature : c'est l'Esprit qui se pense, et c'est la Vie qui se vit, dans chaque homme.

La mission de l'homme philosophe, dans le droit fil des alchimistes, de Jakob Böhme et de Schelling, est de révéler en conscience cet Esprit et cette Vie qui sont sous-jacents au monde et à lui-même. Cette révélation spirituelle est la réconciliation moniste essentielle et, par elle, émerge la Conscience du réel au-delà des consciences parcellaires.

Et cette Vie qui se vit, cet Esprit qui se pense, et cette Conscience qui s'éveille, cherche leur passage, cherche leur voie d'accomplissement dans l'Histoire, au moyen de l'Histoire, au travers de l'Histoire. L'Histoire est l'histoire de leur accomplissement, de l'accomplissement du Réel dans toutes ses dimensions (Esprit, Vie, Conscience, etc …).

Au fond, Hegel a l'intuition de ceci : le cœur du Réel est cette Intention d'accomplissement qui anime le Devenir, qui se nomme Dieu, si l'on veut, et qui fonde l'Esprit, la Vie, la Conscience et l'Histoire.

La quête du sens - qui est libération de la Pensée de dessous les pensées - est une médiation (un pont) entre l'immédiateté de l'existence subie (l'être-jeté-là) et hantée par la mort, et l'immédiateté de la vie pensante et de la pensée vivante pleinement vécues dans chaque ici-et-maintenant.

Cette pensée vivante est vivante parce qu'elle est dialectique donc mouvante, processuelle. Contredire ce qui se contredit pour construire une cohérence croissante qu'il faudra encore dépasser. La logique linéaire - aristotélicienne - est aux métaphysiques statiques de l'Être, c'est que doit être la logique dialectique - non aristotélicienne - aux métaphysiques dynamiques du Devenir. Objet et sujet se fonde dans le projet.

Le Réel contredit le Réel qu'il est pour devenir le Réel qu'il peut devenir en se surpassant.

Chaque conscience humaine - comme le cosmos dans sa globalité - doit se créer son propre monde où devenir, en dépassant la contradiction entre authenticité subjective et rigueur objective. Ce monde à soi, tant intérieur qu'extérieur, est au fond une forme de cocon où se déployer, où se métamorphoser ; il est "ma" totalité avec plus ou moins d'étendue et de profondeur, de consistance et de richesse. La grandeur et la fertilité de ce monde est l'exacte mesure de notre liberté.

La logique - le Logos - est l'autre mot pour exprimer le lien entre les parties d'un tout, leur reliance, leur consistance, leur cohésion, leur cohérence, leur interdépendance dans l'espace comme dans le temps. Plus cette reliance globale, cette organicité sont fortes, plus la logique interne de ce tout est puissante. Le logique interne d'un tout est le moteur de son accomplissement, de son auto-déploiement.

Dans l'Esprit qui est le réel, la Logique - le Logos - est le moteur de la pensée vivante et dialectique qui déploie tout ce qui existe. Elle est l'Esprit même.

Connaître le Réel, c'est comprendre[1] sa Logique (à laquelle et de laquelle nous participons pleinement et totalement tant par notre vie et notre pensée que par notre conscience).

L'Esprit désirant engendre le Logos qui engendre la Nature qui engendre la Conscience qui devient l'Esprit réalisé. Ainsi se boucle la boucle du Réel, en un "éternel retour" nietzschéen où la vocation - la finalité, le sens et la valeur - de l'homme (héroïque, noble, aristocratique) est d'être ce pont entre Nature infrahumaine et Conscience surhumaine. Cette vocation passe par la spiritualité (l'âme), la philosophie[2] (l'intelligence) et l'art (la résonance).

Pour accéder au niveau de noblesse qui lui permettra de tenir son rang au sein de la Nature et du processus de l'Esprit, l'homme doit passer par trois stades successifs, selon Hegel : l'affirmation de soi, le détachement pour soi, la conscience en soi. L'homme noble doit se libérer de tous ses esclavages aux autres et à lui-même, non pour se poser en maître, pour servir l'Esprit - non comme esclave, mais comme amant - et accéder à la Conscience.

Le Réel n'est pas un autre monde que celui des apparences ; ils ne sont pas séparés. Celui-ci manifeste celui-là comme la peau révèle les mouvements superficiels du corps. Il faut se garder de toute forme de dualisme ontique et refuser toute tentative de rétablissement du concept d'un monde transcendant. Il y a, au contraire, un continuum moniste - que Hegel affirme justement - entre apparence et réalité.

Marc Halévy, 29 septembre 2010.



[1] Com-prendre : cum prehendere, prendre avec soi, faire sien, adhérer, résonner, etc …

[2] La science n'étant que l'expression, dans ses langages spécifiques, de la philosophie de la Nature.