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Nietzsche : l'homme, l'oeuvre et les idées

Nietzsche revient à la mode. Il faut se méfier des modes : elles dénaturent tout. Cet article vise à mettre au clair l'essentiel de la pensée nietzschéenne afin que l'on ne puisse pas le récupérer à d'autres fins.

Inutile, ici, de refaire une biographie de Nietzsche. D'autres en ont écrites de parfaites, surtout par Curt Paul Janz ("Nietzsche" chez NRF Gallimard - 1985). Quelques repères suffiront.

J'en profiterai seulement pour souligner quelques traits qui me semblent les plus révélateurs d'un homme et d'une œuvre hors du commun.

Car voilà bien la dominante de tout ce dossier "Nietzsche" : hors du commun. Nietzsche avait pleinement conscience d'être "inactuel", d'être tombé dans un lieu (l'Allemagne) et un époque (le 19ème siècle) qui n'étaient pas faits pour lui.

 

Il les a, d'ailleurs, tous deux largement reniés. Dès que la maladie dont il souffrait (une syphilis contractée dans un bordel allemand alors qu'il était étudiant) lui a permis d'être pensionné et relevé de toute charge académique, il fuit l'Allemagne et mena une vie errante, de petits hôtels en pensions de famille, entre Nice et Turin, entre Sils-Maria et la Toscane. Nietzsche est un méditerranéen dans sa tête. Il pense en grec, pas en allemand. Il pense comme un grec, comme Héraclite  et Xénophon, comme Eschyle et Sophocle.

De plus, Nietzsche hait son siècle. Il y voit une décadence moribonde, la fin d'un monde (qui continua de s'achever durant tout le 20ème siècle et qui expire enfin sous nos yeux). Nietzsche sait que la modernité que son siècle a reçu de la Renaissance, n'est que la version terminale du paradigme chrétien. Il en conchie l'idéalisme sous toutes ses formes : éthique (le moralisme), spirituelle (le monothéisme), économique (l'industrialisme), scientifique (le mécanisme), politique (le démocratisme), idéologique (le socialisme) et sociale (l'égalitarisme).

 

Nietzsche est à la fois critique et prophète. Il est critique - ô combien - lorsqu'il dénonce, avec la cruauté du scalpel, les idoles de son temps et la turpitude des bien-pensants. Il est prophète lorsqu'il veut libérer l'homme de ses propres esclavages consentis. Car là se place la thèse essentielle de tout Nietzsche : le paradigme chrétien et la modernité qui en procède, sont d'immenses et perverses machinations pour aliéner l'homme, pour l'empêcher l'humanité d'entrer dans son âge adulte. Nietzsche veut libérer l'homme ! Il veut le rendre, tout entier, à son destin profond qui est de faire advenir ce qui le dépasse : le Surhumain.

 

L'homme

 

Friedrich Wilhelm Nietzsche naît dans une famille luthérienne pieuse le 15 octobre 1844 à Röcken (Saxe) - il perd son père très jeune et est élevé dans un monde de femmes : grand-mère, mère et sœur - et meurt à Weimar le 25 août 1900 dans un asile d'aliéné. Mais sa vraie mort survient à Turin le 7 janvier 1889 où son mental s'effondre. Il passera les onze dernières années de sa vie dans un mutisme émaillé d'improvisations pianistiques.

Après avoir caressé la tentation d'études théologiques afin d'embrasser la carrière de pasteur, Nietzsche se réoriente assez vite vers la philologie classique.

Il devient professeur de philologie à l'université de Bâle en Suisse à 24 ans (1868) et en obtient congé en 1879. De 1879 à 1889, soit durant dix ans seulement, il accouche son œuvre à un rythme hallucinant - surtout de 1887 à 1889.

Nietzsche connut deux amours aussi chaste et platonique l'un que l'autre. D'abord, avec l'épouse de Richard Wagner, Cosima, qu'il déclara encore, lors de son admission à l'hôpital psychiatrique, comme étant sa femme à lui. Ensuite, avec Lou von Salomé qui fut, aussi, la chaste et vierge égérie de Paul Klee et de Rainer Maria Rilke.

A sa mort, Nietzsche laissa de grandes quantités de "fragments" que l'on dira posthumes. Ceux-ci ont été ignominieusement pillés, trafiqués, corrigés, réagencés par la sœur de Nietzsche, Elisabeth Förster-Nietzsche, admiratrice du Führer et épouse d'un dignitaire du parti du socialisme nationaliste. Elle publia son "œuvre" sous le titre "La volonté de puissance" qui était le titre que Nietzsche comptait donner à un ouvrage dont il abandonna l'idée et dont les matériaux constituent l'essentiel du "Crépuscule des Idoles" et de l'Antéchrist.

Cette trahison sororale immonde a bien failli faire jeter la pensée nietzschéenne dans les poubelles nauséabondes de l'histoire philosophique. Heureusement, notamment, en France, grâce au travail de Daniel Halévy et, dans les années 1960, aux ouvrages de Gilles Deleuze, Nietzsche (l'antiallemand et le philosémite) fut redécouvert et réhabilité. Depuis le début des années 2000, à la faveur de la grande rupture de la modernité et de son entrée définitive en crise, Nietzsche reparaît comme prophète de cette fin de paradigme que nous vivons chaque jour.

 

L'œuvre

 

On l'a dit, toute l'œuvre de Nietzsche vise la critique définitive du paradigme christiano-moderne et la libération de l'humanité vers son destin adulte propre.

Même si cette subdivision classique est bien plus floue et plus pédagogique que la vie réelle de la pensée nietzschéenne, il est coutume de poser trois périodes majeures dans son œuvre.

Pour le comprendre, il faut entrevoir que, pour Nietzsche, dont l'éducation biblique et luthérienne est prégnante, le salut de l'humanité appelle nécessairement un messie. Nietzsche veut sauver l'humanité en la libérant et en lui ouvrant les portes de l'âge adulte. Il veut donc trouver son messie.

Il en trouvera trois successifs.

 

Le premier messie de Nietzsche fut l'Art.

Pour Nietzsche, Wagner est l'artiste absolu et total qui opérera la synthèse définitive entre les trois arts majeurs dionysiaques : la tragédie, la poésie et la musique. Nietzsche pose une opposition radicale entre Dionysos et Apollon, entre Dionysos qui recherche la puissance de la vie sauvage et Apollon qui recherche la beauté de la forme apparente. Nietzsche récuse Apollon et ces arts apolliniens que sont les arts plastiques qui ne recherchent que la joliesse, que "l'art pour l'art", que les effets narcissiques et égocentrés des romantiques de son époque.

Nietzsche pose, face à tout cela, l'Art dionysiaque, l'Art en quête de la Vie, et de la puissance de la Vie, et de la tragédie de la Vie.

Et comprenons bien ce mot "tragique" qui est central dans l'œuvre première de Nietzsche, et ne le confondons pas avec le mot "dramatique". Le "tragique" est à prendre au sens grec, dérivé du tragos : le "bouc". Le sens du tragique est le sens du destin. Toute la tragédie grecque - dont Dionysos était le dieu - tourne autour de ce thème de l'échec de ceux qui n'assument pas leur destin ou qui tentent de lui échapper. Le cas d'Œdipe est, à ce titre, emblématique. Il n'y a là aucun fatalisme puisque tout n'est pas destiné. Chacun de nous porte en lui une latence qu'il lui faut accomplir : c'est cela le destin. "Deviens ce que tu es et fais ce que toi seul peut faire", écrivit Nietzsche, en s'inspirant de Pindare. Tout n'est pas déterminé, loin s'en faut, mais chacun porte des possibles qu'il lui faut réaliser. S'il ne le fait pas, par ignorance ou par négligence ou par lâcheté, il passe à côté de sa vie et la rate. C'est toute la leçon de la tragédie grecque.

Mais l'Art se révèlera à Nietzsche comme un faux messie. Il abandonnera cette voie après qu'il eût découvert que son admiration pour Wagner allait à un mégalomane plus préoccupé de son image et de sa gloire que du salut de l'humanité.

 

Le second messie de Nietzsche fut l'Immoralisme.

Le constat nietzschéen était simple et limpide : l'homme s'est laissé mettre au fer par sa croyance aux idéaux et ces idéaux ne sont que de purs fantasmes idéalistes, entés sur un "autre monde", pur et beau, où règne le Bien absolu. Nietzsche dénoncera tous ces idéaux fantasmagoriques et pourfendra définitivement tous les idéalismes. Nietzsche est l'anti-Platon absolu. Donc l'antichrétien absolu puisque le christianisme n'est que, via Augustin d'Hippone, du platonisme repeint aux couleurs du monothéisme. L'Idée suprême platonicienne du Bien est devenue l'Idée suprême chrétienne du Dieu-le-Père qui s'incarnera, par le Fils, pour rédimer l'humanité. Voilà tout.

Nietzsche récuse la "moraline" des bien-pensants. Il se prétend "immoraliste" car il sait que ce mot cingle comme un coup de fouet. Nietzsche adore provoquer. Mais il est, avant tout, et peut-être paradoxalement, un moraliste (au sens des moralistes français des 17ème et 18ème siècles français : La Bruyère, Vauvenargues, Chamfort, etc …). Un moraliste de l'antimorale. Un moraliste à la recherche d'une éthique de vie qui se placerait "Par-delà Bien et Mal".

Cette éthique serait une éthique amorale en ce sens qu'elle serait une recherche permanente du meilleur comportement (Ethos), d'une meilleure harmonie (c'est la définition de la Sagesse), sans qu'il y ait, pour autant, de normes morales édictées par un Dieu transcendant ou, plus exactement, par les pouvoirs temporels qui s'installent au nom de ce Dieu. Toute la critique acerbe du Nietzsche "immoraliste" (Aurore, Par-delà Bien et Mal, L'Antéchrist, Généalogie de la Morale) - comme du Spinoza du "Traité théologico-politique" - va pleinement dans ce sens. Le Bien n'est pas affaire d'application (morale) d'un code "révélé", mais de volonté (éthique) de se comporter en harmonie avec la Vie.

Mais Nietzsche conviendra que l'immoralisme qu'il professe est d'abord critique et destructeur puisqu'il sape les fondement du paradigme christiano-moderne, mais que les ruines fumantes qu'il laisse derrière lui sont vaines si elles ne fécondent pas un renouveau, un nouveau monde, un nouveau paradigme. Critiquer avec tant de lucidité et une joyeuse cruauté, c'est bien ; mais est-ce suffisant ?

 

Le dernier messie de Nietzsche fut Zarathoustra.

Au tournant de 1882, Nietzsche publie "Le Gai Savoir" ("La Gaya Scienza" dont le titre provençal est un clin d'œil aux troubadours qui inventèrent le "Fol Amor" à la fin de l'ère médiévale). Ce livre fera charnière entre la deuxième et la dernière période de sa courte vie. Et très vite derrière "Le Gai Savoir, en 1883 et 1885, paraîtront les deux tomes de son chef-d'œuvre : "Ainsi parla Zarathoustra".

Nietzsche est alors loin de sa foi en l'Art et connaît les limites de son Immoralisme. Il faut aller plus loin. beaucoup plus loin. Quitte à revenir sur ces thèmes-là plus tard. Il le fera avec "La Généalogie de la Morale", avec "L'Antéchrist", avec "Nietzsche contre Wagner", avec "Le Cas Wagner". Mais trois livres forment un grand soleil au centre de la période purement nietzschéenne de la vie et de l'œuvre de Nietzsche : "Ainsi parla Zarathoustra - Un livre pour tous et pour personne", au centre, entouré de "Le Gai Savoir - La Gaya Scienza" qui l'annonce, et de "Le Crépuscule des Idoles - Comment philosopher à coups de marteau" qui le clôt.

Nietzsche y découvre que le seul messie qui vaille sommeille au fond de soi et qu'il faut le réveiller et le faire parler, le laisser parler.

Nietzsche lui donnera un nom à ce génie intérieur qui lui parle : Zarathoustra ! Le nom est persan et désigne un messie raté et idéaliste, Zoroastre, qui, au 6ème siècle avant l'ère vulgaire, tenta, en vain, de réformer le mazdéisme iranien. Les réformes que Zoroastre voulaient radicales, furent intégrées et digérées par la religion ancienne. Nietzsche veut lui donner une seconde chance. Il fait ressortir Zarathoustra de la caverne où il s'était retiré pour ruminer son échec. Zarathoustra a enfin compris : "Dieu est mort" et il n'y a aucun arrière-monde. Mais il n' a pas encore tout compris. Il croit encore qu'il peut convaincre et sauver tous les hommes. La foule le rejettera par amour de sa propre médiocrité. Le salut de l'humanité ne sera que le salut de quelques hommes supérieurs. Le troupeau, lui, croupira dans sa bassesse avant de s'y dissoudre.

 

Les idées

 

Kant, le vieil ennemi mortel de Nietzsche, avait posé les trois questions philosophiques fondamentales.

"Que puis-je savoir ?" : la question de la connaissance, des limites de la raison humaine, de l'écran des sens qui n'atteignent que les apparences superficielles, la question de la vérité.

"Que puis-je faire ?" : la question de la liberté et du libre-arbitre, du champ des possibles, de l'action et de sa valeur, de la morale et de l'éthique, de la volonté et du désir.

Que puis-je espérer ? " : la question du sens : sens de l'existence, de la vie, du monde, la question du salut, de la récompense et du châtiment, de la reconnaissance et de la paix intérieure.

A ces trois questions du rationaliste invétéré que fut Kant, Schopenhauer, le maître vénéré et jamais désavoué de la jeunesse de Nietzsche, en suggère une autre : "Que puis-je aimer ?" car, aux côtés de la raison kantienne, surgit l'intuition schopenhauerienne  qui réhabilite le désir et la passion.

 

Nietzsche reprend ces quatre questions et, bien entendu, en bon père qu'il est de l'idée d'inversion de toutes les valeurs, il en retourne l'ordre.

Les quatre questions nietzschéennes recevront, chacune, une réponse. Ces quatre principes, ensemble, formeront les piliers d'assise de tout l'édifice nietzschéen. Méditons-les dans l'ordre qu'a voulu Nietzsche (et qui forme l'architecture de "Ainsi parla Zarathoustra").

 

"Que puis-je aimer ?" : la Vie ! répond Nietzsche. "Dieu est mort", la Vie est la seule réalité qui emplit et anime tout ce qui existe. La Vie est plus qu'un phénomène biologique ou un mode d'existence : elle est le fondement cosmique de la réalité (on n'est, là, pas très loin de l'hylozoïsme stoïcien). Le Dieu chrétien - ou, plutôt, les autorités de pouvoir qui parlèrent en son nom - hait la Vie, la chair, le corps, le plaisir, la joie, la force, la puissance, l'exubérance, le foisonnement, le désordre créatif ; il est un Dieu de souffrance et de mort qui institua un visage du salut construit, précisément, sur la souffrance et la mort, sur le sacrifice et le martyre, sur la pénitence et la culpabilité, sur l'humilité et l'obéissance, sur le péché et la faute.

Mais ce Dieu-là, ce Dieu de mort, est mort. Nietzsche n'est pas, contrairement à ce que l'on a trop souvent écrit, un athée. Tout Zarathoustra est une ode (un dithyrambe, faudrait-il écrire) mystique, mais d'une veine mystique spiritualiste et moniste, panthéiste ou panenthéiste. Ce qui habite l'âme de Nietzsche, ce n'est pas l'athéisme, mais l'antithéisme, le rejet et le refus radicaux d'un Dieu personnel et transcendant, créateur du monde, extérieur et étranger à lui. Ce Dieu-là est mort. Le Divin habite ce monde, lui est immanent, et ce Divin immanent s'appelle la Vie. Au Dieu mort, Nietzsche oppose la Vie vivante.

 

"Que puis-je espérer ?" : le Surhumain ! L'espoir de l'homme est l'avènement du Surhumain, c'est-à-dire de ce qui dépassera l'homme dans l'ordre de l'évolution cosmique. L'humanité de l'homme n'a aucun avenir. L'homme en tant que tel n'a ni sens, ni valeur. L'humain n'est rien s'il n'est pas un chemin, un pont entre l'animal et la Surhumain. Nietzsche est radicalement antihumaniste. L'homme n'est ni le centre, ni le sommet, ni le but de rien ; l'homme n'est la mesure de rien. L'homme ne prend de sens et de valeur que par ce qu'il fait. La dignité intrinsèque de l'être humain est un bobard idéaliste. L'homme ne compte pas ; seule son œuvre, si œuvre il y a, compte. Et cet œuvre ne compte que dans la stricte mesure où elle contribue à l'avènement de ce qui dépasse l'homme. Hors de là, l'homme n'est qu'une vermine grouillante et parasite qui pille et saccage la surface de la Terre. Pour Nietzsche, le Surhumain n'a évidemment rien à voir avec le surhomme héroïque, blond aux yeux blues, bronzé et musclé décrit jusqu'à la nausée par les propagandes nazie ou hollywoodienne. Le Surhumain n'est pas de l'ordre du physique ou de la génétique, mais de l'ordre le d'intelligence, de la connaissance, de la conscience. Le Surhumain est un stade, pas une espèce.

Et le passage à ce stade supérieur est soumis à un terrible effet de seuil. Peu d'élus (les "hommes supérieurs") réussiront à le franchir. Les masses, elles, méprisables et arrogantes, resteront définitivement en aval, dans la fange de leur médiocrité. Le nietzschéisme est un aristocratisme opposé à toute forme de démocratisme et d'égalitarisme. Après avoir été l'anti-Kant et l'anti-Platon, Nietzsche incarne aussi l'anti-Rousseau. Il exècre les "Lumières" qui n'ont fait que laïciser la vieille antienne chrétienne : la morale du ressentiment et de la jalousie, la morale des faibles et des esclaves.

 

"Que puis-je faire ?" : la Volonté de Puissance ! Assumer son destin, non en le subissant avec fatalité, mais en l'assumant dans la joie et avec volonté. Nietzsche appelle cette manière de vivre son destin propre dans la joie : Amor Fati ("amour du destin").

Le mot "puissance" a souvent prêté à confusion malgré les limpides explications qu'en donne Nietzsche lui-même. Par "volonté de puissance", il ne faut pas entendre ce désir de pouvoir et de domination de l'autre si commun parmi les hommes. Wille zur Macht, en allemand, désigne un désir volontaire (Wille) vers (zur) plus de potentiel (Macht), vers plus de possibles, vers plus de chemins de réalisation de soi. La Volonté de Puissance est une tension intérieure (une in-tension, une intention) qui anime tout ce qui existe. Elle est le moteur unique et omniprésent de toute l'évolution cosmique. Elle est, au sens étymologique, l'Âme du monde et l'âme de tout ce qui y vit.

Nietzsche n'a pas oublié son étude de la "Naissance de la Tragédie" grecque et de l'absurdité qu'il y a à ne pas assumer joyeusement son destin propre, c'est-à-dire à ne pas actualiser l'intention de l'accomplissement de soi en plénitude. Ni fatalité, ni futilité, mais fertilité. La Volonté de Puissance est la troisième voie, celle qui repousse, dos à dos, les deux voies classique du déterminisme (la fatalité) et le hasardisme (la futilité). Elle est la voie de la fertilité qui, à chaque pas, à chaque instant, ne vise qu'une seule chose : accomplir tout l'accomplissable, ici et maintenant. Elle est la seule voie du salut : le salut par la joie ! Car la joie ressentie au plus profond du cœur est la récompense immédiate des efforts d'accomplissement  qui ont été consentis.

 

"Que puis-je savoir ?" : l'Eternel Retour ! Voilà la notion la plus difficile du paysage nietzschéen. Nietzsche ne la définit vraiment nulle part. Elle est plus une intuition, une illumination, une révélation mystiques qu'un concept proprement philosophique. L'idée part d'un erreur de raisonnement scientifique : certains physiciens de l'époque avaient prétendu que, le nombre d'atomes dans l'univers étant fini et le nombre des combinaisons entre atomes étant également fini, il était fatal que le monde, après un laps de temps suffisamment long, retombât dans un état antérieur déjà visité et que, donc, le monde allait, à partir de là, recommencer à l'identique tout son périple. Nietzsche prit ce raisonnement pour argent comptant et en tira les conséquences philosophiques : chacun revivrait éternellement et à l'identique, la vie qu'il aura déjà vécu une infinité de fois. Si le raisonnement physicien initial est faux - on le sait pertinemment aujourd'hui -, la conclusion philosophique ne lasse pas d'être correcte et profonde : il faut vivre chaque instant de sa vie comme si l'on devait le revivre à l'identique pour toute l'éternité. En ce sens, le paradis et l'enfer ne sont pas des "ailleurs" psychopompes, ils ne sont que des conséquences immédiates et inéluctables de la manière dont nous vivons et assumons chaque instant de vie : nous créons notre propre enfer ou notre propre paradis à chaque instant, par ce que nous en faisons.

 

Friedrich Nietzsche

 

Un homme, une œuvre, des idées … hors du commun, "inactuelles". Nietzsche fut considérer comme un des philosophes du soupçon par quoi il faut entendre qu'il est, avec, dit-on, Marx et Freud, le grand initiateur de la remise en cause de la modernité et de ses certitudes.

Curieusement, aucun de ces trois "maîtres du soupçon" n'était philosophe "professionnel". Nietzsche était philologue, Marx politologue et Freud psychologue.

Seul Nietzsche, aujourd'hui, peut réellement être considéré comme un authentique philosophe, les deux autres ayant reçu, de la part de l'histoire, un total déni. Le marxisme et la psychanalyse ont été - et sont toujours - de charlatanesques calamités, des idéologies néfastes, des religions laïques bourrées de dogmatismes et de fanatismes.

Rien de tel avec l'œuvre de Nietzsche. Elle est plus actuelle et à-propos que jamais. Nous vivons aujourd'hui, jour après jour, l'accomplissement de la prophétie nietzschéenne.

 

Marc HALEVY, septembre 2012