Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Notes sur IA

Est hallucinante, aujourd'hui, cette incroyable imposture consistant à faire croire que pour vivre bien, il est vital de communiquer. C'est simplement absurde. La vraie vie n'est pas dans l'extériorité et la socialité, mais dans l'intériorité et l'intimité. Moins tu communiques, plus tu as la Paix !

L'IA tend à abolir la sérendipité, c'est-à-dire l'émergence naturelle de l'inattendu, parfois génial. Il s'agit d'éliminer tout ce que ne prévoit pas le modèle (l'algorithme)

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Le lien entre l'IA et la philosophie analytique est colossal. Le mythe de l'un (la logicisation de la philosophie) et le mythe de l'autre (le philosophisme de l'algorithmisation) sont aussi ridicules l'un que l'autre (mais qu'attendre de mieux de deux surgeons de l'inculture utilitariste américaine).

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De Gaspard Kœnig :

""Libéral, je défends l'idée d'un individu autonome, libre de ses choix et responsables de ses actions (…)"

Je défends la même idée … mais je remplace "individu" par "personne".

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En référence au merveilleux film "Matrix", je résume ma position : j'ai choisi la "pilule rouge" ; je refuse catégoriquement d'entrer dans la Matrice ; je veux rester vivre à Sion. ; je suis un émule de Morphéus. ; je navigue dans le Nebuchadnezzar ; je combats les "programmes-virus" vêtus de noir et armés de lunettes solaires.

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Puisqu'il n'y a plus de vision pour demain, il n'y a plus de respect pour hier.

S'il n'y a plus d'avenir, il n'y a plus de passé.

S'il n'y a plus de projet, il n'y a plus de patrimoine.

Si le temps n'est pas orienté, il s'effondrerait dans l'instant fugace.

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L'IA est incapable de conceptualiser ou de définir abstraitement un objet. Pour reconnaitre un "chat", il faut faire ingurgiter, au système de "machine learning", des millions de photos de chat (encodées par un lumpenprolétariat du numérique rémunéré à 2 $ de l'heure) ; ce système est doté d'un algorithme de reconnaissance qui va finir par se doter, statistiquement, de règles de reconnaissance de l'objet "chat".

Il faut bien comprendre que le plus sophistiqué des système IA est incapable de la moindre abstraction alors qu'un enfant de quatre ans, à qui l'on montre un chat, reconnaîtra, au premier regard, presque tous les chats de la terre.

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L'IA est une illusion !

Aussi trompeuse soit-elle, une illusion reste une illusion.

Une simulation simule, elle ne réalise rien.

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Au fond, le philosophe authentique est celui qui détruit toutes les illusions.

Au fond, le Judaïsme ne dit pas autre chose lorsqu'il veut extirper toutes les idolâtries.

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L'IA simule et simulera toujours mieux tous les affects qu'un humain faible d'esprit, égotique et incapable d'accepter et d'assumer le Réel, peut désirer.

Le dernier des minables pourra s'y "taper" toutes les pinups de ses rêves, y accumuler des "amis" en pagaille, s'y encanailler à tout-va, y vivre des aventures hallucinantes en 3D, y trouver le réconfort patient et "positif" d'un chatbot qui le "connait" si bien, etc …

Le virtuel est et sera toujours plus une porte de fuite en avant pour les médiocres en tous genres.

C'est le nouveau "circenses".

Un médiocre déteste le Réel puisque le Réel lui réfléchit crûment sa propre médiocrité et il y a 85% de médiocres dans l'humanité. Tant qu'ils auront les moyens de se la payer, ils s'installeront durablement et profondément dans "la Matrice". Cela libère le monde réel pour les 15% capables de refuser cette "Matrice" de la simulation et de la virtualisation.

Il y a aura - il y a déjà - deux mondes : le monde simulé et le monde réel. Le monde simulé, puisqu'il satisfait les médiocres inadaptés au monde réel, est appelé à un énorme succès de masse (cela a commencé, il y a longtemps, avec les spectacles, le théâtre, les romans, les contes, le cinéma, la télévision, etc …).

L'addiction au virtuel est bien moins chère et au moins aussi efficace que l'addiction aux drogues chimiques "d'évasion" et de "paradis artificiels".

Mais ces nouveaux "paradis artificiels" pour cinq ou six milliards de médiocres humains inadaptés au Réel, sont-ils finançables ? L'humanité dispose-t-elle des ressources matérielles et énergétiques nécessaires pour faire vivre cette "Matrice" artificielle ?

Cette "Matrice" du virtuel et de la simulation artificielle, sera, sans doute, la version de demain de l'évergétisme.

Le problème est : comment faire produire, par cette populace de zombies lobotomisés, les denrées nécessaires à leur propre survie physiologique ?

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Avec la déculturation et la désintellectualisation généralisées, le marché des émotions a de beaux jours devant lui.

Toute l'industrie algorithmique ne vise plus qu'à simuler ou stimuler des émotions.

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L'IA dite "forte" est une vaste fumisterie. Les ordinateurs et leurs logiciels algorithmiques  sont des gadgets mécaniques, déterministes et programmatiques donc séquentiels et linéaires. Rien dans l'univers réel n'obéit à cette logique simpliste.

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L'idée d'une machine "consciente" est des plus farfelues. Pour qu'il y ait conscience, il faut qu'il existe un champ actif de confrontation entre les quatre autres dimensions de l'activité "mentale". :

  1. la mémoire analytique (reconnaissance de données) y est, mais la mémoire holistique (reconnaissance de structures globales) n'y est pas,
  2. la sensibilité analytique (la captation de données) y est mais la sensibilité holistique n'y est pas (l'intuition),
  3. l'intelligence procédurale (les programmes et algorithmes séquentiels) y est, mais les intelligences créatives (analogique et anagogique) n'y sont pas,
  4. quant à l'essentiel : l'intention, la volonté, la quête du sens et de la valeur, la quête de la joie, elles n'y seront jamais.

Donc, en fait, la simulation d'une "pseudo-infra-conscience" par une machine, même hypersophistiquée, se limitera toujours à une confrontation, sans dimension intentionnelle profonde, d'une mémoire et d'une sensitivité analytiques avec des procédures algorithmiques très mécaniques. Un ver de terre ou une pâquerette feront toujours mieux parce que portés, tous deux, par la force et le sens de la Vie qui les dépasse et dont ils procèdent.

Le robot, lui, ne procède de rien qui le dépasse, hors l'orgueil infantile humain.

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L'IA forte est une chimère.

L'IA faible est suffisante pour créer la "Matrice" où se vautreront les masses.

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Le problème de l'IA (et des contempteurs du QI et des disparités raciales, ethniques, religieuses et culturelles que l'on y constate clairement) vient de la non-définition de la notion d'intelligence.

Pour l'IA, l'intelligence est une capacité de calcul. Pour le QI, l'intelligence est une capacité logique. Pour moi, l'intelligence est la capacité de construire, de tester et de valider des structures globales cohérentes de reliance entre noèmes.

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De Gaspard Kœnig :

"Le déploiement d'une intelligence exceptionnellement puissante au service d'une finalité qu'elle ne comprend pas, est voué à la catastrophe."

L'intelligence humaine est une habileté mentale au service d'une meilleure survie dans un monde complexe, flou et totalement intriqué. Ces trois notions ne sont pas accessibles à l'IA qui ne comprend que le mécanique, le quantifiable et l'analytique.

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La complexité n'est jamais "calculable".

La complexité n'est jamais "mathématisable".

La complexité n'est jamais "algorithmisable".

Donc, le Réel n'est ni calculable, ni mathématisable, ni algorithmisable.

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L'IA est une puissance d'optimisation. Mais il n'y a optimisation d'un trajet que par rapport à un projet que l'on doit prédéfinir. Or, l'IA est ontiquement incapable de définir quelque projet que ce soit.

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Toujours se rappeler qu'il ne peut exister de noologie sans biologie (de mental sans corps, de culture sans nature). L'Esprit est un produit de la Vie, au service de la Vie. Une machine, un robot, un ordinateur n'appartiennent qu'au rudimentaire univers de la Matière, totalement étranger et radicalement inférieur aux univers de la Vie et de l'Esprit.

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Le problème de fond n'est ni la robotisation ni l'algorithmisation, en soi, de certaines tâches ou fonctions ; le problème de fond est la conséquence des myriades d'applications de ces techniques, qui ne visent que des fonctions ludiques ou inutiles ou relationnelles (comme les "réseaux sociaux", WhatsApp, etc …)  ; ces applications stériles - les plus faciles à imaginer et à commercialiser - pollue totalement l'univers numérique, par elles-mêmes, d'abord, et, ensuite, par la publicité qui les financent.

Il suffirait d'interdire la publicité sur la Toile pour que celle-ci s'assainisse illico. Et renversons la proposition : tout ce qui est financé par la publicité est nocif et devrait être éliminé de nos appareils.

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La théorie marxiste prétend que la capitalisme tend à remplacer le travail humain par du travail mécanique (Marx appelle cela "l'accumulation de capital", c'est-à-dire d'actifs bilantaires au détriment de la ressource humaine ; ce processus "inéluctable" mènerait le prolétariat au chômage et à la misère et, par suite, à la révolution).

Toute l'histoire économique a démontré le contraire ; toute technologie accapare certains emplois (les moins intéressants, les plus dangereux, les plus pénibles) et suscite l'émergence de nouveaux emplois inédits en plus grand nombre. C'est l'idée de la "destruction créative" de Schumpeter, basée sur la "théorie de l'offre" de Jean-Baptiste Say.

La réalité de l'histoire économique a donné totalement tort aux fantasmes idéologiques et idéalisants de Marx ; il est temps jeté celui-ci dans les oubliettes de la pensée.

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La "vertigineuse montée de la puissance dévastatrice de l'IA" relève du complotisme (donc du fantasme). Les vrais résultats réels de l'IA sont très minimes (en gros la manipulation des gogos) et sur des domaines finalement assez restreints et triviaux.

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L'IA est définitivement exclue des fonctions nécessitant une perception holistique (sensibilité), une évaluation holistique (intelligence), une reconnaissance holistique (mémoire), une intention holistique (volonté) ou une confrontation holistique (conscience).

Le contraire d'algorithmique est holistique..

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De Gaspard Kœnig :

"la menace n'est pas tant le surgissement de l'IA dans le monde réel que la transformation du monde réel pour accommoder l'IA."

On met là le doigt sur le vraie question : la tentation de beaucoup est sans doute de faire entrer de force la complexité et la richesse du monde réel, dans les moules simplistes et étroits d'algorithmes ontiquement incapables de "comprendre", d'accepter et d'assumer cette complexité et cette richesse réelles.

Alors, l'IA sera le plus grand processus cataclysmiques jamais inventer pour affaiblir et appauvrir le Réel.

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L'IA repose sur l'idéologie utilitariste de Jeremy Bentham : l'utilité, c'est la maximisation du plaisir du plus grand nombre. Une vision statistique où seule la "société" globale compte. Une vision quantitativiste et hédoniste où seule compte les masses. La tyrannie du plus grand nombre, c'est-à-dire la tyrannie de la médiocrité. Victoire létale de l'entropie sur la complexité. Une forme poussée d'égalitarisme.

Todd Davies parle d'une "optimisation sociale" et Peter Thiel ose dire : "L'IA est communiste".

Dans ce stupide slogan californien : "Make the world better",  on omet de dire de quel "world" il s'agit et à quelle aune on mesure le "better".

Et Gaspard Koenig de conclure : "Rien de tel que l'IA, outil rêvé du calcul hédoniste benthamien, pour quantifier le bonheur et pour rationaliser sa répartition".

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Les algorithmes prédisent et ce qui est prévisible, devient manipulable. Ils engendrent un modèle de société proche du "meilleur des monde" d'Aldous Huxley. Une société de la transparence et de la conformité, de la normalisation et de la médiocrisation.

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Partager ses données personnelles, c'est accepter l'esclavage.

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La notion de "bien commun" est une parfaite imposture, par sa polysémie même. De quoi parle-t-elle ? Des biens naturels ou patrimoniaux qui forment la propriété commune ?  Du bien-être moyen d'une communauté ? De l'idée du Bien (et du Mal) communément admise ?

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La meilleure méthode pour faciliter la Vie, c'est d'endormir l'Esprit.

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La technologie numérique est devenue une religion, une croyance, une espérance qui fait fi de toute scientificité, qui ignore jusqu'aux lois de la Nature et de la physique, qui prend ses fantasmes pour des réalités.

Entre technologie et scientologie, il n'y a plus que l'ombre d'un poil de distance.

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Les technologies numériques actuelles forment la queue démesurée et démente de l'hypermodernité ; elles ne fondent pas l'après-modernité. Le paradigme noétique s'appuiera sur la noosphère, mais ne s'y réduira pas ; tout au contraire, elle s'émancipera de la technologie lui déléguant les fonctions subalternes, fastidieuses et élémentaires et se réservant les fonctions complexes, créatives, holistiques et réellement intelligentes.

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Il ne faut pas se leurrer : l'immense majorité des humains n'a jamais été capable de penser par elle-même. Elle a toujours été un récepteur d'informations et presque jamais un producteur de connaissances. Les technologies numériques n'y changent rien qualitativement, même si elles sont quantitativement très amplificatrices.

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Avant, les existences étaient manipulées par les "notables", les "professeurs", les "idéologues", etc … maintenant, elles le sont, à plus grande échelle et plus profondément, par des algorithmes conçus par d'autres notables, professeurs ou idéologues …

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Pour les masses, le monde humain est en train de devenir un gigantesque jeu-vidéo.

Espérons que l'effondrement de la biosphère ne marquera pas un fatidique : "Game over" !

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Nous courons tout droit vers une humanité à deux vitesses : une minorité aristocratique qui maîtrise ou dépasse les technologies, et une majorité plébéienne manipulée par elles.

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La clé de voûte de la mutation démocratique - c'est-à-dire de la modernité - est l'idée d'égalité. Cette clé de voûte est aujourd'hui usée et obsolète.

Quelle sera la valeur cardinale - le nord magnétique - du nouveau paradigme noétique ?

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La voie algorithmique est la négation de la voie théorétique.

Un flot énorme de données, des corrélations, des itérations, des triturations … mais surtout pas de modélisation, pas d'abstraction, pas de structuration, pas de conceptualisation. Du pur empirisme.

Mais sans recours à des principes fondateurs qui constituent l'essence du Réel, la probabilité de trouver quoique ce soit de vraiment intéressant, de non trivial,  dans ces magmas statistiques, est quasi nulle.

La connaissance ne naît jamais dans des tripotages de savoirs.

Comme toujours, la "bonne" voie est celle de la dialectique entre algorithmique (empirisme statistique) et théorétique (anagogie principielle).

 

Marc Halévy

Septembre 2019