Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Cosmos, complexité et cinq sens.

Nos sens sculpte nos esprits ...

Les sens de la vue et de l'ouïe sont les seuls de nos sens qui captent les distances (les dimensions relatives), les fréquences (celles de la lumière et celles du son) et leurs changements (les mouvements, trajectoires et vitesses). Ces deux sens humains sont primordiaux, voire hégémoniques, pour la bonne et simple raison que l'humain est notoirement inadapté à la vie sauvage (où sont ses carapaces, ses fourrures, des crocs, ses griffes, ses talents de coureurs sauteur, grimpeur, planeur, etc … ?). Pour survivre, il doit repérer les dangers et opportunités de loin (la vue), il doit entendre le moindre bruit indicateur de l'approche d'un prédateur ou d'une proie (l'ouïe) … et il doit être capable d'interpréter tout cela le plus correctement et le plus immédiatement possible (l'intelligence).

Ces deux sens essentiels de l'humain, évoluent donc dans le domaine strictement topologique ; cela explique pourquoi, durant des millénaires, la représentation de l'univers a été (et est encore souvent) purement spatiale et temporelle.

 

Le sens du goût, dans la bouche, avec la langue mais aussi avec les lèvres, le palais et les dents, décrypte des structures physiques (viscosité, chaleur, texture, croquant, dureté, tendreté, croustillant, … ) et chimiques (certains radicaux organiques repérés comme sucrés, amers, salés, acides, métalliques, etc …) ; disons donc d'un mot que le sens du goût reconnaît certaines structures physicochimiques.

Le sens de l'odorat ne repère, lui, que des structures chimiques, mais avec un "catalogue" infiniment plus vaste que celui des papilles gustatives.

Quand au sens du toucher, comme les deux précédents, c'est un sens de "contact" qui ne travaille pas à distance puisqu'il doit "toucher" ; outre le chaud et le froid, il reconnaît des textures (lisse, rugueuse, granuleuse, rêche, douce, légère, lourde, visqueuse, …) ; il n'implique pas que la peau mais aussi une coopération de la peau avec les muscles des doigts qui, ensemble, soupèsent et évaluent des formes géométriques (rondeurs, angles, rectilignité, brisure, densité, élasticité, plasticité, …).

 

En synthèse, à un instant t donné, en temps arrêté, les sens de la vue et de l'ouïe sont des capteurs topologiques (volumiques, spatiaux), alors que l'odorat, le goût et le toucher sont des capteurs eidétiques (structurels, organisationnels).

Mais tous sont aussi sensibles aux aspects dynamiques puisque tant la vue que l'ouïe repèrent des mouvements spatiaux, alors que le goût et le toucher (bien plus que l'odorat) captent les variations des structures qu'ils ont repérées (la langue reconnaît la fonte d'une crème à la glace en bouche, comme le toucher repère le frisson ou le hérissement de poils sur la peau de l'autre).

 

Pour la physique théorique d'aujourd'hui, l'espace de représentation du cosmos est encore très souvent exclusivement spatio-temporel. L'espace-temps y est même encore souvent vu comme un contenant "neutre" et absolu dans lequel évolue l'univers, alors que ce que l'on appelle l'espace et le temps ne sont que des conventions de mesure grâce auxquelles les expérimentateurs évaluent et comparent certaine grandeurs convenablement choisies.

L'espace et le temps – comme les mathématiques et les paramètres et grandeurs qu'elles manipulent – ne sont que des conventions humaines.

La physique complexe inverse radicalement tout ce regard et considère le Réel comme une unité organique en devenir, travaillée par trois propensions fondatrices (topologique avec extension et concentration, dynamique avec inertie et accomplissement, et eidétique avec complexification et homogénéisation).

De plus, la physique complexe a construit un espace de représentation beaucoup plus riche qui possède un domaine topologique (incluant l'espace géométrique à trois dimensions), un domaine dynamique (incluant le temps à une dimension) et un espace eidétique (dédié aux notions d'ordre, de régularité, de règles, de structure, d'organisation, etc …)

 

Dans le fond, les divers organes des sens de l'humain – et de la plupart des vivants, végétaux compris – chevauchent, souvent un ou plusieurs des trois domaines ontologiques (repérés déjà par Aristote sous les catégories de Substance topologique, de Mouvement dynamique et de Forme eidétique).

C'est d'ailleurs cette hybridité de nos sens qui permet à notre esprit de construire des ponts et des rapports entre les messages qu'ils lui envoient.

On pourrait tracer le tableau des sensibilités humaines en utilisant 0 pour "nul", f pour "faible" et F pour "fort".

 

 

Topologique

Dynamique

Eidétique

Vue

F

F

f

Ouïe

F

f

0

Odorat

0

0

F++

Goût

0

f

F

Toucher

f

f

F

 

Ce tableau montre à souhait que c'est la vue seule qui connecte fortement l'esprit humain avec le domaine dynamique d'où l'importance cruciale de la vue dans la survie et dans le langage humains où le verbe "comprendre" et le verbe "voir" se confondent si souvent : "Tu vois ce que je veux dire ?".

Être un voyant, un visionnaire, n'est-ce pas "voir" l'invisible et ses structures temporelles ? Mais pour la vision, la dynamique se réduit aux seules trajectoires du mouvement alors que la dynamique cosmique est le moteur même de toute l'évolution globale (c'est là qu'est la réponse à la question : pour quoi tout ce qui arrive, arrive-t-il ? pour quoi tout évolue-t-il ?).

Parallèlement, notre sens eidétique le plus performant (mais bien moins ;que le chien et tant d'autres mammifères) est celui de l'odorat ; et il en découle la polysémie du verbe "sentir" qui déborde très largement l'activité des seuls capteurs nasaux.

"Je sens un malaise." "Je sens une ambiance joyeuses." "Je sens de la tristesse dans tes yeux."

 

Ce tableau, lu en miroir, montre aussi que c'est manifestement le domaine dynamique qui est le moins bien perçu par nos sens (et donc par notre esprit qui n'y reconnaît que rarement les forces d'intention ou d'inertie, les puissances d'accumulation et d'accomplissement).

Mais existe-t-il un sens biologique qui soit spécifiquement dans la temporalité, qui "sente" le temps qui passe et la "vitesse" à laquelle il passe. Lorsqu'on parle d'horloges biologiques ou des phases du sommeil, ou plus banalement, des sensations d'ennui ou d'effervescence, n'est-ce pas de la perception de la temporalité et de ses rythmes propres que l'on parle ?

Oui, peut-être, mais tout cela est très flou. Et tout cela explique sans doute pourquoi les humains se sentent si mal à l'aise avec la durée, avec le temps qui passe, avec leur mortalité, … et qu'ils s'inventent une autre dynamique, d'autant plus simpliste et pratique, qu'ils se l'imaginent sur mesure : l'éternité, l'immortalité, l'âme immortelle, le salut, … bref : l'eschatologie et la sotériologie.

Toute la physique classique a d'ailleurs fait totalement l'impasse sur les deux  attracteurs de la tension dynamique à savoir : l'accumulation mémorielle moteur de toutes les inerties, et l'accomplissement intentionnel moteur de toutes les émergences.

Au fond, les humains ne perçoivent la temporalité qu'indirectement (comme l'avait bien compris Bergson qui avait remarqué que toute mesure du temps était essentiellement spatiale). Le temporalité leur est un arrière-fond mystérieux et inaccessible qui, comme il se doit, est la source de toutes leurs angoisses existentielles (dont celles de vieillir et de mourir).

La philosophie, depuis toujours, sait et dit que le problème de l'incompréhension du temps et de sa nature est le plus grave problème de l'humanité. La physique théorique lui emboîte naturellement le pas.

Il ne faut jamais oublier que le temps n'existe pas ou que, plus exactement, il exprime, dans des unités convenables, arbitraires et conventionnelles, la durée et le taux d'avancement (l'âge, le niveau d'accomplissement) d'un processus en cours. Tout ce qui existe possède un cycle de vie naturel (une espérance de vie). Tout ce qui existe est plongé dans un Réel qui évolue de manière pulsatile ; pulsations qui engendrent des ondes, des interférences, des résonances, des harmoniques et des harmonisations. La structure unilinéaire du temps qu'a imposée la mécanique classique est infiniment trop pauvre pour rendre compte de la pluridimensionnalité réelle du temps.

 

Mais continuons l'étude de notre ternaire et de ses relations (plus ou moins intenses) avec nos sens, donc avec notre esprit.

Au trois pointes du triangle, il y a le domaine topologique, le domaine dynamique et le domaine eidétique. Chacun de nos sens est plus ou moins bon sur l'une au moins de ces pointes (et mauvais ou nul sur la pointe dynamique, nous venons de le voir). Soit !

Mais existe-t-il un sens humain qui ressente, holistiquement, la  synthèse des trois domaines (topologique, dynamique et eidétique) ?

Oui, ce sens synthétique et holistique s'appelle l'intuition., il consacre une reliance et une résonance, totales et profondes, entre un esprit humain singulier et l'Esprit cosmique (le Logos universel, le Grand Architecte de l'Univers) et ce, dans toutes ses dimensions.

L'intuition est un "sens" (le sixième, dit la tradition) que chacun possède, mais bien rares sont ceux qui l'ont développé à très haut niveau et qui, à ce titre, pourraient être proclamés "prophètes" au sens hébreu des "Nabiim".

 

Marc Halévy - Le 28/03/2021